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un chimiste allemand, M. Liebreich, se rappelant que le chloral peut être dédoublé par les alcalis en chloroforme et en acide formique, se demande si un semblable dédoublement n’aurait pas lieu dans l’organisme vivant aussi bien que dans une cornue de laboratoire. Il tente l’expérience, et la nature lui répond par une affirmation éclatante. Le chloral se décompose dans l’économie au contact des alcalis du sang ; il y engendre du chloroforme, mais avec une telle mesure et une telle lenteur que le sommeil provoqué peut durer plusieurs heures. Ce sommeil, moins profond et plus calme que celui qu’on obtient avec le chloroforme, a de plus cet avantage de pouvoir être prolongé sans inconvénient avec de nouvelles doses du composé anesthésique. Le succès du chloral a été rapide. Depuis 1832 jusqu’en 1868, on en avait préparé quelques kilogrammes pour les besoins de la science ; aujourd’hui les fabriques de Berlin, à elles seules, en livrent au commerce 100 kilogrammes par jour. Cette vogue est justifiée et durera, d’autant plus que le chloral n’est pas seulement pour la médecine ce que le chloroforme est pour la chirurgie. Il diminue notablement le pouvoir excito-moteur de la moelle épinière, et à ce titre il rend des services remarquables dans le traitement de plusieurs affections ; mais c’est surtout pour calmer les atroces et persistantes douleurs, comme celles du rhumatisme aigu, qu’on l’emploie chaque jour.

Le pavot renferme plusieurs alcaloïdes dont les actions respectives ne se ressemblent point. Diverses plantes présentent la même complexité au point de vue thérapeutique ; d’autres au contraire, comme la ciguë et la belladone, ne contiennent qu’un seul alcaloïde. La cicutine, extraite de la ciguë, et l’atropine, retirée de la belladone, ont fait depuis peu de temps l’objet de recherches intéressantes. MM. Martin Damourette et Pelvet, qui ont étudié la ciguë, ont vérifié par l’expérimentation l’exactitude des détails historiques qui nous sont parvenus sur les symptômes qu’éprouva Socrate après avoir avalé le mortel breuvage. L’atropine a ouvert une voie nouvelle au traitement des maladies des yeux, grâce à la curieuse propriété qu’elle possède de dilater la pupille de l’œil lorsqu’on l’instille dans cet organe, ou lorsqu’on l’ingère par les voies habituelles. Une quantité infinitésimale de ce principe actif suffit pour déterminer presque immédiatement ce phénomène, dont M. Harley a le premier signalé l’importance. La connaissance précise des effets de l’atropine, qui agit d’ailleurs sur tout le système nerveux, permet d’expliquer les circonstances étranges, entre autres le délire extraordinaire, dont parlent les anciens auteurs en décrivant certains empoisonnemens par la belladone.

Il existe une substance qui exerce sur l’appareil de la vision une