Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/733

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le principe de la ligue était nettement défini : elle voulait séparer l’école de l’église.

On ne connaît point assez en France les services qu’ont rendus de telles organisations à la cause du progrès et de la liberté dans la Grande-Bretagne. Par leur concours s’établit un lien entre l’opinion publique et le parlement. L’orateur qui se lève à la chambre des communes pour défendre la réforme proposée a derrière lui une légion d’esprits, des travaux accumulés, des réclamations claires et précises qui ont déjà reçu le contrôle de l’examen et qui ont été approuvées, sinon par la majorité, du moins par une forte minorité dans le pays. La ligue de l’éducation nationale était à peine constituée, qu’elle s’occupa de recueillir et de publier des renseignemens, des statistiques, de provoquer des lectures publiques et des conférences, d’organiser des meetings, de distribuer des brochures, par milliers, des feuilles volantes par millions, en un mot de conduire et de diriger ce que les Anglais appellent l’agitation publique. Le 1er décembre 1869, elle fondait le Monthly paper, recueil mensuel destiné à répandre les idées de l’association et à défendre la cause de l’enseignement laïque[1], obligatoire et gratuit. Dès, cette époque, la ligue avait institué dans les villes de l’Angleterre quarante-deux branches ou succursales qui se sont multipliées avec le temps (au mois d’octobre 1871, on en comptait trois cent quinze), et qui, ralliées au comité exécutif, devaient servir de centres à l’action locale. Des agens étaient envoyés dans les provinces pour stimuler le zèle des différens groupes. Le nombre des adhérens s’accroissait chaque jour : parmi eux, il y avait des noms illustres, tels que ceux de Jacob Bright, de Fawcett, du révérend chanoine Kingsley, de sir John Lubbock, savant naturaliste, de l’éminent professeur Huxley ; il y en avait aussi d’à peu près inconnus, mais qu’importe ? La plupart des grandes réformes publiques ont commencé en Angleterre par les travaux d’hommes obscurs. A côté des clergymen de l’église établie et des ministres des différentes congrégations religieuses. figuraient des libres penseurs. Cette alliance d’élémens opposés n’a rien qui effraie les Anglais quand ils croient poursuivre une conquête utile. « J’aime mieux, disait M. Illingworth, membre du parlement, m’associera des athées pour faire triompher un acte de justice que de m’allier à des croyans pour combattre l’exercice d’un droit. » Malgré la multiplicité des nuances, la couleur dominante était celle des non-conformists. On appelle ainsi tous les dissidens qui ne se conforment point aux articles de foi ni aux rites de

  1. Les Anglais se servent du mot secular ou unsectarian ; . mais ils ajoutent que ce mot répond négativement à celui d’ecclésiastique.