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rues de Rome où jadis passaient les Jugurtha ; mais Properce est un plat courtisan, un de ces diffamateurs à la suite dont le sauveur du monde (servator mundi) aime à patronner les bons offices. D’ailleurs Properce avait dix ans lors de la mort de Cléopâtre ; ses impressions ne sont que de seconde main. Horace et Virgile ont assisté aux derniers momens de la république, Horace a même combattu pour elle. Properce n’a rien vu de ces glorieux temps ; il est sans modération comme sans élévation d’esprit, et tombe sur les vaincus parce que c’est une manière de faire sa cour au vainqueur. La onzième élégie du livre III n’a qu’une intention : chauffer, pousser au fanatisme cette haine nationale des Romains contre Cléopâtre. Le poète y chante le funeste pouvoir des grandes dominations féminines, et passe en revue tous les mythes, tous les fameux exemples, dont le plus effroyable est naturellement celui que le monde vient d’avoir sous les yeux. La flatterie gagne à la main, la belle littérature s’en va. Il ne s’agit plus que de plaire au maître, qui sait ce que vaut l’enthousiasme des honnêtes gens et ne marchande pas. On n’est un parfait panégyriste de décadence qu’à deux conditions, s’aplatir devant César et jeter de la boue à ses ennemis. Properce remplit ce double emploi ; ceux qui viennent après lui, historiographes et rapsodes, également ne s’y ménagent pas, car c’est à remarquer qu’à mesure qu’on s’éloigne de la génération contemporaine de Cléopâtre, et que le despotisme s’affermit, l’invective, moyen d’adulation, se corse et s’envenime, — tandis qu’Horace à l’autorité du galant homme joint ici la garantie du témoin. Il a vu de ses yeux, entendu de ses oreilles. Cette crise funeste, il l’a traversée, vécue. Horace touchait à ses trente ans quand éclata la guerre entre Octave et Marc-Antoine, ou plutôt entre Rome et Cléopâtre, ainsi que les protocoles de l’époque affectent de s’exprimer. Pendant toute la durée de la campagne, il ne quitta point Rome, on peut donc s’en fier à son émotion, qui fut, à tout prendre, celle du Forum, mais qu’il manifeste en des termes dont assurément le Forum ne se servirait pas, — car la peur est d’ordinaire pour la multitude une terrible conseillère de mauvaises paroles, et respecter dans sa défaite un ennemi qui nous a rudement secoué les entrailles n’appartient qu’aux âmes élevées. Horace donne la vraie note ; il s’emporte au nom de son patriotisme contre l’être fatal, mauvais démon de César et d’Antoine, et dont l’ambition téméraire osa prétendre conquérir le Capitole et l’empire ; funus et imperio parabat¸ mais son indignation ne l’aveugle pas, il est des ascendans prestigieux auxquels l’âme d’un poète ne se peut soustraire. Horace a beau s’évertuer, même à l’instant qu’il la maudit, Cléopâtre le domine ; il se débat sous son regard, avoue sa