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du type d’après l’examen de cette imagerie. « Ces traits, écrit-il, sont loin de mentir à l’histoire, et dénoncent assez bien la femme dont l’influence s’exerça si puissamment sur César et sur Marc-Antoine. Quiconque a l’habitude de la physionomie humaine reconnaîtra une âme instinctivement adonnée à l’amour et aux plaisirs des sens, tandis que cette médaille fabriquée sous son règne et reproduite dans l’Iconographie de Visconti ne nous offrira qu’une grotesque charge où l’œil s’émousse vainement à vouloir ressaisir quoi que ce soit d’analogue à l’être qu’on se représente comme une des merveilles du sexe féminin. » Attiré naturellement par l’intérêt qui s’attache à ces grandes figures du temple de Denderah, l’archéologue italien poursuit ainsi sa description. « La reine marche précédée de Césarion, qui porte la coiffure des dieux, le casque orné du pschent ; sur sa gonna, très courte, on voit l’image d’un roi couvrant de son glaive un groupe de vaincus qui demandent grâce, — sujet reproduit dans presque tous les portraits de pharaons illustres. Césarion offre à la déesse du temple un sacrifice d’encens ; sa main gauche tient la cassolette sacrée, tandis que de la droite il répand les grains de parfum. Au-dessus de sa tête voltige l’épervier de Hat, serrant entre ses griffes l’emblème de la victoire. La reine porte sur son front les insignes d’Athyr, divinité locale ; elle est vêtue d’une robe très juste au corps, et présente en offrande un collier. Les inscriptions la désignent sous ce vocable : « Cléopâtre, maîtresse du monde, » et Césarion est appelé Ptolémée, César, Philopator et Philometor, selon les titres qu’Antoine lui donna en l’élevant près de sa mère à la régence. Ce qu’il y a de plus frappant, c’est l’exacte ressemblance du jeune homme avec ce que nous connaissons du visage de Jules César : d’où il suit que les Alexandrins, loin d’incriminer la naissance du fils de leur reine, en tiraient gloire, comme faisait la reine elle-même. »

Tout cela ne m’empêchera pas de penser que, si Cléopâtre revenait au monde, la noble dame rougirait et s’indignerait de voir sur quels indices nous la jugeons, et que la postérité en soit réduite à ne pouvoir, au sujet d’une beauté comme elle, interroger que le ciseau d’un art provincial de la Haute-Égypte au temps de la décadence. Octave, au moment de quitter Alexandrie, fit emballer pour Rome tous les objets précieux. Les statues d’Antoine, descendues de leur piédestal, durent se préparer à prendre le chemin du Capitole ; celles de Cléopâtre allaient avoir le même sort, lorsque l’intervention d’un puissant personnage les sauva de l’affront auquel la reine s’était dérobée par la mort. Cet Alexandrin courtisan du malheur comprit qu’il valait mieux s’adresser à la cupidité d’Octave qu’à sa pitié ; comme il avait autant d’or que de dévoûment, il proposa la somme de 2,000 talens, et les statues de Cléopâtre