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flotte de César entourent de partout, Antoine rassemble quelques escadrons, fond à leur tête sur l’ennemi, le disperse et rentre vainqueur. Cléopâtre vole au-devant de son chevalier, et donne à baiser ses belles mains royales aux plus vaillans d’entre leurs amis.

La victoire et lui ne devaient jamais plus se rencontrer sur un champ de bataille. Le soldat finissait comme il avait débuté sous Gabinius, par une charge de cavalerie. Le lendemain, « jour de royal péril, » Octave, au moment de livrer le double assaut qui va mettre à sa discrétion la cité du grand Alexandre, voit arriver un messager. Encore un duel qu’Antoine lui dépêche. Cette fois le neveu de César daigne rompre le silence, et répond avec un froid sourire : « A quoi bon ? Antoine n’a-t-il pas devant lui assez d’autres chemins ouverts pour sortir de la vie ? » La dernière partie est jouée et perdue ; l’édifice s’écroule, écrasant de ses débris le couple illustre. Sur mer, les équipages, au lieu de combattre, ont mis la rame en l’air et fraternisent avec l’ennemi. Octave, profitant du désarroi général, pousse ses troupes vers la ville. Cette superbe cavalerie, hier si brave, aujourd’hui prise de panique, se débande, fuit et laisse là son chef désarçonné. Antoine se relève, sa résistance est culbutée, les Romains lui passent sur le ventre. Crier à la trahison, tous les vaincus en sont là ; c’est une suprême consolation et si facile ! Antoine rentre dans les murs au milieu d’une poussée de fuyards, ne voit que poings levés et menaces, n’entend que malédictions sur son passage, ou plutôt il ne voit et n’entend rien, se précipite vers le palais, s’informe éperdu de la reine ; on lui répond que la reine est morte. Cléopâtre, courant s’enfermer au mausolée, avait en effet laissé pour lui cette nouvelle. On a dit qu’elle redoutait ses mauvais traitemens ; mieux vaut admettre que, résolue elle-même à mourir, elle pensait qu’il se tuerait, et qu’elle n’en serait alors que plus libre et plus à l’aise pour préparer et consommer l’inévitable sacrifice. Il arriva ce qu’elle avait prévu : de tels amans ne survivent pas l’un à l’autre. Antoine demande la mort à son affranchi ; Éros veut obéir, mais ne peut, et de son glaive levé sur son maître se perce lui-même le cœur. « Bien, mon Éros, merci, dit l’imperator, voyant rouler à ses pieds la pauvre victime, tu me montres comment je dois m’y prendre. » Et il se frappe.

Cléopâtre avec ses femmes était assise à l’étage supérieur du mausolée : un bruit de foule s’agite au dehors ; la reine met la tête à l’une des ouvertures de la muraille, et dans ce corps défait, sanglant, porté par des soldats, reconnaît Marc-Antoine. Le malheureux n’avait réussi qu’à se blesser à mort. En apercevant Cléopâtre, il veut revivre, tend les mains vers elle, vers la lumière. A force de cordages, d’échelles, on le hisse. Charmion, Iras, toutes sont à la