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contenaient un assez grand nombre de ces hommes qui, sans aimer les rois, ressentent vivement les outrages faits aux monumens élevés même à la gloire de la monarchie, qui, sans être chrétiens, trouvent mauvais qu’on insulte aux symboles du christianisme. Qu’on veuille bien y songer, la disposition large, hospitalière aux idées, qui comprend du moins ce qu’elle n’admet pas, était fort rare à cette époque. Elle l’était même dans ces comités auxquels nous faisons allusion ; elle leur était pourtant moins étrangère. L’art du moyen âge était de même peu goûté ; l’idée plus générale que l’art doit être respecté, recueilli dans tous ses vestiges, sous toutes ses formes, ne rencontrait que peu d’adeptes. Elle en eut pourtant, et trouva même un apôtre dans Alexandre Lenoir. Avant tout, il fallait lutter contre les destructions. C’est ce que tentèrent, au nom des comités qu’ils animaient de leur zèle, un petit nombre de promoteurs. Il ne faut pas oublier ces hommes de bon vouloir qui en toute chose prennent sur eux les peines et les périls des difficiles entreprises, et ne recueillent le plus souvent qu’une part bien faible d’un honneur devenu en quelque sorte anonyme.

Au premier rang de ces promoteurs comment ne pas placer Lakanal ? Une véritable reconnaissance est due à ce modeste et énergique défenseur de% lumières et des arts. Plusieurs de nos contemporains l’ont connu ; il recevait même, il y a quelques années, au sein de l’Institut, qu’il avait contribué à organiser, et où il était venu en quelque sorte terminer sa longue carrière, l’hommage le plus éclatant et le plus mérité[1]. On le voit mêlé à tout ce qu’il y eut de créations grandes, utiles. Il défendit avec courage les académies près de succomber, et particulièrement l’Académie des Sciences, qui comptait alors plusieurs hommes de génie, et qui rendait dans ce moment même tant de services au pays en perfectionnant divers moyens de guerre nécessaires à la défense du territoire. Il réussit à sauver le Jardin des Plantes. Il fit adopter le télégraphe de Chappe contre l’indifférence des uns et les doutes des autres. Il fut enfin l’auteur d’une loi importante sur la propriété intellectuelle et de grands projets sur l’enseignement en partie appliqués. Lakanal est le premier qui mit en circulation dans la langue officielle le mot de vandalisme. Peu importe qu’il l’ait recueilli de la voix publique ou qu’il l’ait choisi pour désigner ces destructions qui rappelaient les ravages des vrais Vandales. Ce fléau, qu’il osait alors attaquer de front, il le dénonçait dès le commencement de 1793. « Des chefs-d’œuvre sans prix, dit-il, sont chaque jour brisés ou mutilés ; les arts pleurent

  1. Notice historique sur Lakanal, par M. Mignet, lue à la séance publique de l’Académie des Sciences morales et politiques le 2 mai 1857.