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leur juste valeur. Qu’il y ait quelque chose de fondé dans ces remarques, d’accord ; mais donnent-elles le droit de conclure que les ruines sont imaginaires ? Non, les ruines restent, et les larmes aussi, non pas celles que répand une sentimentalité de commande, mais celles dont le poète a dit avec une vérité immortelle : Sunt lacrymœ rerum ! On a tort de ne s’attacher qu’au nombre des statues brisées et des bras endommagés. N’y eût-il que la statue de Dagobert et les deux statues de Charles VII et de la reine sa femme mises en pièces, que la tête de la statue de Marie, fille de Charles le Bel, séparée du corps et qui fut volée, que les deux doigts cassés de l’une des statues du mausolée de François Ier, il nous serait encore impossible de déclarer que les tombeaux de Saint-Denis n’ont pas été saccagés, détruits ; oui, détruits, quoique la plupart des pierres aient été replacées sous la restauration. Il nous semble qu’on se serait donné moins de peine pour réduire les proportions de ce désastre, que l’on considère presque comme fictif, si on s’était dit que cette destruction consistait dans l’exhumation même des corps, dans la fonte des cercueils, dans la disparition de tout ce qui constituait une nécropole royale. Faut-il en prendre son parti avec indifférence ? À ce compte, la mémoire et l’imagination des peuples ne sont plus rien uniquement parce que nous sommes une démocratie. Il est difficile de prendre son parti de cette indifférence. On confond à tort avec un superstitieux fétichisme le respect du passé historique. L’enlèvement des statues pouvait bien s’appeler aussi une destruction quand elle fut accomplie, puisqu’elle faisait disparaître l’intégrité du monument. Il fallut qu’Alexandre Lenoir allât les déterrer sous l’herbe qui les recouvrait dans un champ voisin.

Nous éviterons de pousser trop loin l’investigation ; nous n’irons pas avec un soin trop minutieux fouiller dans les cercueils des rois de France pour y chercher un à un quels objets précieux, quels témoignages de luxe des sépultures tout un passé monarchique y avait entassés. On trouve ce travail accompli avec la plus tranquille indifférence par un des témoins délégués, par le rapporteur principal de l’opération d’extraction des cercueils, le bénédictin dom Poirier. N’approuvant ni ne blâmant rien, républicain ou royaliste, on ne peut le deviner, il décrit, il suppute, avec la simple curiosité d’un antiquaire. Il raconte comment on a trouvé des restes de diadème et point de couronnes dans deux tombeaux, l’un du commencement du XIIIe siècle, l’autre du commencement du XIVe. Si les tombeaux intermédiaires n’offrent ni diadèmes ni couronnes, c’est que les cadavres ont été bouillis et désossés, et les ossemens rassemblés dans de petits cercueils. Ils n’ont donc pu être revêtus des ornemens de la dignité cruels avaient possédée pendant leur vie.