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dégradation des monumens, il n’existe pas de documens plus instructifs que les rapports de l’abbé Grégoire. Le premier fut lu le 14 fructidor an III. Les pertes les plus étendues y sont signalées. « Les lois conservatrices des monumens sont inexécutées et inefficaces, » dit le rapporteur, qui ajoute ces paroles remarquables, si l’on se reporte à cette date déjà avancée, car nous sommes en pleine année 1794 : « Le vandalisme redouble ses efforts. Il n’est pas de jour où le récit de quelque destruction nouvelle ne vienne nous affliger… C’est dans le domaine des arts que les plus grandes dilapidations ont été commises. Ne croyez pas qu’on exagère en vous disant que la seule nomenclature des objets enlevés, détruits ou dégradés, formerait plusieurs volumes. » On s’explique peu que ces mémoires si substantiels soient frappés de suspicion, non pas que l’auteur soit dans ses écrits une autorité infaillible : esprit honnête et courageux, mais passionné, parfois crédule, Grégoire porte la peine de son caractère ardent et de sa position fausse de prêtre convaincu et de montagnard déclaré ; mais la lecture de ces rapports ne justifie pas, à ce qu’il nous semble, l’accusation de vague adressée à des rapports qui offrent en général le caractère d’une assez grande précision. Grégoire parlerait le plus souvent d’objets qui ont failli être détruits. Il se sert quelquefois de cette expression, mais à propos d’objets qui ont échappé à une destruction imminente, qu’il n’a pas tenu au vandalisme de ne pas consommer. Il fallait bien signaler aussi ces attentats. Les assertions de Grégoire seraient souvent hasardées. Qu’on lise le rapport du 7 brumaire an III, époque où encore « les destructions continuent ; » on y verra que les faits allégués par le célèbre conventionnel dans ses différens rapports n’ont pas été recueillis par lui ; il ne fait que résumer la correspondance des comités de l’instruction publique et des arts. On ajoute que l’auteur lui-même a reconnu des exagérations, les a rectifiées dans son troisième rapport du 24 frimaire. Sans doute, il a donné cette preuve de sa bonne foi ; mais outre que les faits, en très petit nombre, qui se trouvaient exagérés gardent en général une gravité réelle, presque toujours les rectifications du rapporteur portent moins sur les dégradations en elles-mêmes que sur la participation des administrations. Bien loin d’atténuer les résultats des précédens rapports sur le vandalisme, ce troisième mémoire ajoute encore aux révélations contenues dans les premiers ; il constitue un acte d’accusation des mieux motivés, et dont on essaierait en vain de diminuer l’importance. Qu’en effet il y ait eu moins qu’on ne l’avait cru de dégâts à Coutances et dans la petite ville de Thorigny, il n’y a pas de quoi beaucoup triompher. Grégoire cite vingt autres endroits où le mal est plus grave qu’on ne l’avait dit d’abord.