Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/832

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses tableaux cette patine sombre, qui est bien celle des vieux maîtres, et qui rappelle la couleur de Van Dyck, mais de Van Dyck noirci par les siècles ? Pour donner du prix à ses toiles, M. Ricard n’a pas besoin d’en faire des pastiches du temps passé.

M. Dupuis n’est pas un homme arrivé, ni dont le talent paraisse encore tout à fait formé. Il y a des maladresses qu’il commet, ou plutôt des habiletés du métier qu’il ignore ; mais il y a aussi dans son portrait de M. Cavelier une sincérité de ressemblance et une force de modelé qui le classent au premier rang. L’éminent sculpteur est assis un peu de travers, penché en avant, une main sur le genou. Le raccourci de cette main, du bras, de la manche de l’habit et du genou lui-même est extrêmement faible. La tête maigre, fine, le visage creusé, la barbe grise, les yeux légèrement inégaux, le regard perçant et toutefois un peu vague, tout est pris sur le fait, étudié avec conscience et sagacité, rendu avec fermeté, largeur et scrupule. Si M. Dupuis était un très jeune homme, une œuvre pareille, malgré ses défauts, annoncerait un grand avenir.

Tout autres sont les défauts comme les qualités de M. Pérignon ; il expose cette année un portrait d’homme qui ne manque pas d’habileté ni d’élégance : c’est celui du brave et malheureux commandant Franchetti, tué le 2 décembre 1870 au combat de Villiers-le-Bel. On y sent un peu trop une main accoutumée à flatter son modèle et à recouvrir d’une élégance banale les grâces parfois un peu douteuses de nos soi-disant jolies femmes. Debout sur une colline, Franchetti observe l’horizon. Son manteau, ses gants, sa longue-vue, sont jetés négligemment à côté de lui. Le ciel est sombre, nuageux, mélancolique comme il convient au sujet, mais d’une tristesse convenable et modérée. Dans le creux d’un ravin, on aperçoit deux cavaliers qui attendent. Si le personnage manque un peu de vie, les accessoires sont traités avec goût, la touche sobre et adoucie, comme il convient au clair-obscur des salons.

M. Pérignon est bien mieux dans son élément quand il fait des portraits de femme. Celui de Mme  Alboni était un sujet scabreux. Dans les portraits de femme, les défauts, au lieu de servir à marquer la ressemblance, doivent être fondus dans la masse générale. La netteté du modelé ne doit pas nuire à cet effet de rondeur et de fluidité qui caractérise les formes féminines. Que faire quand un excessif embonpoint dissimule la structure même ? M. Pérignon s’en est tiré avec beaucoup d’habileté. Il a représenté la célèbre artiste dans l’attitude la plus simple : debout, de face, un bras appuyé sur un piano, un cahier de musique à la main. Elle se détache sur un fond d’une couleur feuille-morte, assez sombre pour atténuer un peu la masse disgracieuse du corps, assez clair pour se marier