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pas précisément mauvais, la couleur est peut-être moins factice que d’habitude ; mais il suffit que M. Bouguereau ait voulu sortir de son atelier et s’affranchir de la convention qui y règne, qu’il ait affronté le grand soleil des champs et le plein jour de la réalité, pour que tous ses efforts soient restés vains. Sa Faucheuse, malgré un grand étalage de muscles, n’est qu’une poupée mesquine et molle. À côté de là, regardez son tableau intitulé Pendant la moisson. Un modèle costumé en Italienne joue avec un joli petit Jésus couché sur une gerbe, à l’ombre d’un bosquet de paravent. Cela est faux, mignard, mais plus sincère et plus vrai que la Faucheuse. Ici du moins l’artiste ne force point son talent ; il est rentré dans son atelier, dont il ne devrait jamais sortir.

Dans un autre genre, M. Berne-Bellecour a disputé, dit-on, à M. Jules Breton, la médaille d’honneur. On ne saurait contester à son Coup de canon des qualités à la fois très aimables et très sérieuses, beaucoup d’intelligence, une composition simple, aisée, spirituelle, et une franchise du meilleur aloi dans l’exécution. Le principal personnage du tableau est, comme son titre l’indique, une pièce de canon, ou plutôt le bastion sur lequel cette pièce est posée, et dont les talus en terre éboulée, soutenus par des tonneaux et des fascines, occupent près de la moitié de la toile ; on ne voit que très peu de ciel au-dessus des personnages, et cette disposition fort intelligente ajoute beaucoup à l’effet sinistre de la scène. Quant au canon, qui vient de tirer et qui fume encore, il est là, immobile sûr son affût. Un canonnier, non moins immobile, se tient droit derrière, et en bouche la lumière de la paume de sa main. Les autres artilleurs, accoudés au parapet, observent l’effet du coup qui vient de partir. Parmi eux, un officier braque sa longue-vue sur l’horizon. Si les poses ne sont pas très variées, elles sont naturelles ; les personnages paraissent groupés au hasard, et cependant ils sont bien groupés. L’art de la composition y est réel, et néanmoins il se dissimule à force de se faire oublier. Les valeurs sont justes, la touche sobre et assez ferme, moins puissante pourtant que celle de Meissonier, dont le procédé est tout différent. Tout cela est saisi sur le vif et comme photographié sur nature. Je ne serais vraiment pas bien étonné si l’auteur avait demandé son inspiration première à la photographie.

Les scènes militaires de M. Berne-Bellecour peuvent être admirées outre mesure ; elles n’en méritent pas moins une estime sérieuse. Il n’en est pas de même de l’inévitable M. Protais, qui nous revient avec son cortège accoutumé de troupiers sentimentaux, de sergens romantiques, de zouaves élégiaques et de jolis officiers larmoyans dont l’intéressante pâleur attendrit le cœur des bour-