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geoises et remue la fibre sensible des prudhommes de tout sexe et de tout âge. Si tendres et si héroïques, serait-on tenté de s’écrier, si malheureux et si distingués ! Toutes les mères seraient fières de les avoir pour fils et toutes les jeunes filles heureuses de les prendre pour maris. Aussi M. Protais est-il, comme d’habitude, le candidat préféré d’une grande partie du public, la plus nombreuse, celle qui vient se promener au musée pour y chercher des émotions et pour en rapporter précieusement le doux souvenir des larmes qu’elle a failli verser. Heureusement ce public-là n’a pas voix au chapitre.

M. Protais est un exemple curieux de ce que peuvent la persévérance et l’esprit de conduite pour fonder une renommée. Cet artiste, qui ne manquait ni de goût, ni d’étude, mais à qui la nature avait refusé les vraies qualités du peintre, s’est voué de bonne heure au soldat, toujours populaire en France, et au soldat sentimental, toujours agréable aux dames. D’ailleurs la monotonie de l’uniforme militaire, exécuté par un procédé mécanique, lui permettait de déguiser la nullité de sa couleur et la pauvreté de son imagination. Ses premiers essais furent médiocres et n’obtinrent que des succès de sentiment. Peu à peu le métier lui vint ; il acquit une certaine habileté dans la fabrication du soldat, — je dis du soldat d’infanterie, car sa spécialité ne s’étend pas à la cavalerie. Depuis ce temps, il ne cesse de fabriquer des soldats, et il en fabriquera jusqu’à ce que mort s’ensuive. A chaque exposition, il en choisit une quinzaine dans sa boîte, les groupe, les arrange, les nettoie, leur met une épée au côté, un fusil sur l’épaule, un képi dans la main ou un shako sur la tête, surtout une larme dans le coin de l’œil, et voilà un tableau qu’on admire. A force de lui voir faire la même chose, le public le reconnaît et lui sourit comme à une vieille connaissance. Sa stérilité même est une des raisons de son succès. Il est célèbre, et ses tableaux se vendent cher. Que peut-on lui demander de plus ?

Dans son tableau intitulé la Séparation (armée de Metz), un groupe d’officiers français rassemblés sur une éminence pleurent en se serrant les mains ; à leurs pieds, l’armée prisonnière et désarmée défile entre deux haies de soldats prussiens et salue ses chefs, en passant, d’une dernière acclamation patriotique. Dans l’autre toile, intitulée Prisonniers, environs de Metz, des soldats assis par terre et dispersés dans, une triste plaine boueuse pleurent silencieusement, la tête dans leurs mains, sous la garde de quelques sentinelles prussiennes, qui se promènent lentement l’arme au bras, le casque en tête, au milieu de cet affreux bivouac. Les officiers sont assez habilement, groupés dans le premier tableau ; dans le second, la silhouette du casque à pointe qui se dresse immobile devant l’ho-