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rizon au milieu de ces groupes prosternés, accablés par la fatigue, la misère et la honte, représente assez bien la force brutale jouissant de sa victoire. Pourtant cette peinture est creuse, terne, grise, insignifiante ; on peut en dire ce qu’un homme d’esprit disait d’un sot de ses amis : « il est si nul qu’il n’est même pas bête. »

Non, les peintures de M. Protais ne peuvent pas être considérées comme une revanche des pénibles événemens qu’il aime à nous représenter. S’il voulait raviver nos douleurs patriotiques, il fallait le faire à la façon virile de M. Schutzenberger, dont le tableau d’Une famille alsacienne émigrant en France est un véritable cri de haine. La dureté, la violence, la brutalité réaliste, tous les défauts de ce tableau tendent à en augmenter l’effet et à exprimer plus fortement la passion qui l’inspire. Les émigrans sont encore dans la rue de leur village ; ils s’en vont d’un pas ferme, le père de famille en avant, tenant son jeune fils à la main ; la mère chemine à côté de lui en sanglotant, avec un enfant dans ses bras. Une petite fille marche à côté d’elle, une main accrochée à sa jupe rouge, se tenant de l’autre à son jeune frère, qui s’avance à grands pas, avec l’insouciance de son âge. Derrière vient la famille, jeunes gens et jeunes filles, soldats blessés et désarmés, le bras en écharpe, une blouse jetée sur leur uniforme, escortant un chariot chargé de tout le mobilier de la maison. Un jeune homme à cheval conduit l’attelage en faisant claquer son fouet, qu’il élève d’un geste énergique, comme s’il avait hâte de quitter ce lieu, souillé par l’étranger. Les voisins sortent de leurs maisons, et serrent la main des exilés sans pouvoir retenir leurs larmes. Des oies et des poules s’enfuient effrayées. À droite, une sentinelle prussienne monte la garde à la porte d’une cour ; à gauche, la silhouette d’un officier prussien se montre à une fenêtre. La couleur est dure, ligneuse, d’un ton de brique : les figures sont cerclées, et la perspective manque ; mais les expressions sont énergiques et simples, les attitudes vraies, pleines de mouvement et de vie, et les imperfections même semblent conspirer à la vigueur de l’ensemble.

M. John Lewis Brown n’est pas, lui non plus, de l’école de M. Protais. Dans le dessin comme dans la couleur, il recherche l’énergie et ne recule pas devant la violence. Si sa couleur est un peu criarde, si son dessin est souvent imparfait et heurté, ni l’ardeur, ni la conviction ne lui manquent. La Charge de Reischoffen accuse d’ailleurs un progrès sensible. Sur un cheval blanc lancé au galop, bien que criblé d’affreuses blessures et inondé de sang, un trompette de dragons chancelle, la tête renversée, le bras étendu ; d’une main il laisse échapper son clairon, de l’autre il serre convulsivement les rênes de son cheval, qu’il fait cabrer en tombant.