Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/856

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pertes dans l’art de faire des mines. — M. Caraud est plus modeste, et représente simplement une jeune fille portant un chat. Tout l’intérêt de ce petit tableau, d’ailleurs fort joli et fort habile, est dans la juxtaposition de la robe blanche de la jeune fille avec le chat blanc qu’elle porte dans ses bras, et dans l’éclat superlatif d’un parquet verni et brillant comme une glace. Il y a du talent dans toutes ces petites toiles, qui seraient d’agréables ornemens pour un boudoir ; mais en serions-nous réduits à y voir la véritable expression de l’art moderne ? Faut-il la chercher aussi dans les tableaux de curiosités exotiques, dans les sujets japonais et chinois, qui prennent la place des sujets turcs et égyptiens, déjà trop exploités ? Il n’est pas douteux que l’art japonais et chinois n’exerce sur nous quelque attrait et quelque influence. Le procédé de coloration de beaucoup de jeunes peintres, qui consiste à juxtaposer par masses uniformes des couleurs brutalement opposées les unes aux autres, est jusqu’à un certain point une imitation de l’art japonais ou chinois. Ainsi, dans la Marchande de fleurs de M. Girard, une petite toile d’une grande vigueur et d’une admirable vérité réaliste, les masses de couleur se détachant par plaques éclatantes, au détriment de l’unité et de la perspective du tableau, ce qui lui donne un peu l’air d’une espèce de mosaïque ou de vitrail d’église. M. Carolus Duran lui-même a quelque chose de ce défaut, et ne parvient à le racheter que par la grande largeur des masses locales et par l’habile composition de la gamme des couleurs employées dans chaque tableau. A défaut d’autres caractères plus marqués, c’est là une des tendances de la nouvelle école, si tant est qu’on puisse dire, au milieu de l’anarchie et de l’individualisme de l’art moderne, qu’il y ait une école nouvelle.

Un autre travers de nos jeunes peintres qui se rattache au même principe et pour ainsi dire au même instinct de chinoiserie, c’est l’exagération des détails au détriment de l’ensemble. Voyez par exemple les Deux Grigous de M. Charbonnel, un élève distingué de. M. Carolus Duran. Deux vieux avares, mari et femme, comptent leurs économies ; les têtes sont expressives, bien étudiées, mais le principal personnage dû tableau est un billet de banque de 100 fr. exécuté avec une telle vigueur de réalisme que les têtes ne se voient plus. Il faut blâmer sévèrement ce défaut de goût et de mesure, et l’enfantillage insolent des prétendus novateurs qui voudraient en faire une théorie et une nouvelle doctrine de l’art. Soyez réalistes, vous avez raison, c’est-à-dire étudiez la nature et ne cherchez vos inspirations qu’en elle ; — mais ce n’est pas un vrai réalisme que celui qui déploie toutes ses ressources dans les accessoires et dépense ses forces à contre-temps.