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La Solitude de M. Otto von Thoren, un étranger dont nous ne nous rappelons pas avoir vu le nom dans nos expositions antérieures, est un fort beau tableau qui fait songer à ces grandes plaines inhabitées de la Pologne, couvertes de marécages, de landes et de forêts. C’est au mois de novembre, les forêts brunies commencent à se dépouiller, le soleil se couche dans un ciel froid au milieu de nuages d’un rose doux et calme. Un cerf, immobile, en arrêt, la tête dressée vers l’horizon, veille sur son troupeau qui broute non loin de là. Une volée de corbeaux tourbillonne lourdement dans le ciel. — Le Souvenir du pays de Bade, du même auteur, est un effet de neige. Sur une route de la Forêt-Noire ; une charrette à bœufs chemine lourdement, accompagnée d’un cavalier. Les grands sapins laissent pendre leurs branches chargées de frimas. Des hauteurs boisées et neigeuses se découpent à l’horizon sur un ciel pur avec un relief et une perspective remarquables. Les mêmes qualités se retrouvent au premier plan et dans tout le reste de ce tableau, qui se distingue, comme la Solitude, par un sentiment très sincère et par une très grande justesse dans la valeur des tons.

Les effets de neige paraissent fort à la mode cette année. Voici d’abord M. Chenu, dont le tableau de la Visite de noces doit être considéré surtout comme un paysage, car ce ne sont pas les personnages qui en font le principal intérêt. Devant une maison de village de modeste apparence, une carriole s’arrête dans la neige, et deux personnes en descendent, accueillies sur le seuil par les habitans du logis. Ce sont probablement les mariés, et ils doivent sans doute à leurs feux, comme on dirait dans l’ancien langage, le privilège qu’ils semblent avoir de ne pas sentir le froid de la saison. On voit d’ailleurs que le dégel approche le ciel est bas et brouillé ; un peu de jour perce à travers la brume blanche, qui commence à rougir sous tes rayons d’un soleil invisible, et projette un reflet doré sur le tapis de neige qui couvre la terre. Ces nuances sont observées avec une délicatesse infinie ; quoiqu’il y ait peu d’accidens, la perspective est excellente ; la maison, peinte en rouge, a bien l’aspect sombre des objets colorés ; en temps de neige. La touche est fine, scrupuleuse, un peu léchée, et sans empâtemens visibles. M. Chenu est né à Lyon, mais en peinture il est Hollandais de naissance. — M. Héreau au contraire est un Parisien pur sang ; Rien de plus vrai, de plus juste, de plus facile, de plus français en un mot que sa Station d’omnibus à Batignolles par un temps de neige. C’est le soir, les arbres dépouillés se profilent sur le ciel. Une grande lueur rouge embrase l’horizon, et se noie graduellement dans le gris-bleu pâle et froid d’une soirée