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une séance de nuit au corps législatif, on proposait la création d’une commission de gouvernement chargée de saisir sur-le-champ l’autorité souveraine. Si l’on s’était hâté, si le matin du 4 septembre Paris en se réveillant eût trouvé un pouvoir de défense nationale établi, parlant à tous le langage du patriotisme, mettant hardiment la main à l’œuvre, peut-être aurait-on pu tout au moins suspendre la marche précipitée des événemens et détourner le coup d’état populaire. C’est là l’instant unique et fugitif. Faute d’une décision, dès qu’on a laissé passer sans rien faire ces heures de miséricorde, la conséquence est claire. Paris, à son réveil, se sent dans le vide, — livré à toutes les incertitudes, aux impatiences de l’irritation, à l’influence secrète des mots d’ordre révolutionnaires qui ont eu le temps de courir pendant la nuit. L’empire n’a rien gagné, puisque les ministres eux-mêmes sont réduits à venir proposer une combinaison devant laquelle ils ont reculé quelques heures auparavant, la création d’un conseil souverain de gouvernement, avec la convocation d’une assemblée constituante. Le corps législatif, tardivement réuni pour discuter quand tout devrait être résolu, devient le point de mire de toutes les anxiétés et de toutes les agitations. La garde nationale se répand spontanément dans les rues, ébranlée et confuse comme la population tout entière. Les soldats, gagnés par la contagion, ne savent plus ce qu’ils ont à défendre, ce qu’ils ont à combattre. Alors il n’y a plus d’illusion possible, c’est l’imprévu qui commence. Tout tient à un reflux de houle populaire, à une grille du palais législatif qui plie sous la pression de la multitude, — et la révolution est accomplie ! Ce qui reste de pouvoir passe à l’Hôtel de Ville, où la république renaît en un instant sous le nom de gouvernement de la défense nationale.

Eh ! sans doute la révolution du 4 septembre est un malheur comme toutes les révolutions intérieures accomplies en face de l’invasion étrangère. C’est un de ces malheurs que tout devrait rendre impossibles et que tout rend inévitables, qui ne sont une victoire, — triste victoire selon le mot de Royer-Collard, — que pour cette fatalité qui emporte en certains momens toutes les volontés. Les vainqueurs apparens du jour sentaient eux-mêmes le péril, ils éprouvaient de singulières hésitations, et à ceux qui se figurent aujourd’hui que rien ne serait arrivé sans la conspiration, qu’on n’attendait que cette occasion pour se jeter sur l’empire comme sur une proie, un des agens de la préfecture de police, M. Marseille, répond dans l’enquête : « Je sais de source certaine que les chefs qui ont triomphé ce jour-là n’étaient pas alors disposés à prendre le gouvernement. Ils croyaient qu’il y avait danger à agir trop vite ; ils ne voulaient pas prendre sitôt une succession aussi périlleuse… » Au dire d’un député impérialiste, M. Gambetta lui-même