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en grippe ! — Avait-elle dit ceci à Mac Snagley ? — Oui. — Le maître se mit à rire. Ce rire franc avait des échos si étranges dans la petite maison d’école, il était en tel désaccord avec les gémissemens des pins au dehors, que bien vite il s’arrêta en soupirant, et ce soupir aussi partait du cœur. Après un moment de silence sérieux, il lui par la de son père. — Son père ? Quel père ? Le père de qui ? Qu’avait-il jamais fait pour elle ? Pourquoi les autres filles la méprisaient-elles ? Qu’est-ce qui faisait dire aux gens : « La Mliss du vieux Bummer Smith ! » quand elle passait ? Oui, oh oui ! elle voudrait être morte, être morte ! Que tout le monde fût mort ! — Et ses sanglots recommençaient.

Le maître, penché sur elle, lui dit, aussi bien qu’il put, tout ce que nous aurions pu dire, vous ou moi, après avoir entendu des théories contre nature sortir d’une bouche d’enfant, mais en tenant compte, mieux que vous et moi peut-être, de ses guenilles, de ses pieds ensanglantés, de l’ombre omniprésente du père ivrogne, qui était non moins contre nature ; puis il la mit debout, il l’enveloppa d’un châle qu’il avait, et la reconduisit, l’engageant à revenir le lendemain. Sur la route, il lui souhaita une bonne nuit. La lune éclairait brillamment l’étroit sentier qu’elle devait prendre. Il resta quelque temps à suivre des yeux la petite forme brisée qui se traînait en chancelant ; il attendit jusqu’à ce qu’elle eût dépassé le cimetière et atteint la courbe du chemin, où, se tournant de son côté, elle se tint une minute immobile comme un atome de souffrance sous les lointaines et patientes étoiles. Alors il alla reprendre sa tâche ; mais les lignes du cahier se déroulaient en longues perspectives de routes sans fin, où des figures d’enfans semblaient passer en pleurant dans la nuit. La petite maison d’école lui parut plus solitaire qu’auparavant ; il ferma la porte, et retourna chez lui.

Le lendemain matin, Mliss vint à l’école ; sa figure avait été lavée, l’état de sa chevelure révélait des luttes récentes contre le peigne, où peigne et cheveux avaient évidemment souffert. Le regard de défi étincelait encore de temps à autre ; mais elle était déjà comme apprivoisée. Alors commencèrent une série de petites épreuves et de petits sacrifices auxquels maître et élève eurent part égale, ce qui augmenta entre eux la confiance et la sympathie. Bien que toujours obéissante sous les yeux du maître et parfois même traitable durant les récréations, Mliss, quand on la contrariait ou qu’elle se croyait offensée, retombait dans ses exaspérations indomptables, et plus d’un jeune sauvage, trouvant en elle à qui parler, allait ensuite, l’habit en loques, la figure égratignée, se plaindre au maître de la terrible Mliss.

L’événement de son entrée à l’école divisa les gens de la ville ; quelques-uns menaçaient d’enlever leurs enfans à si mauvaise