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II

Ce que Mac Snagley appelait la conversion de Mliss était qualifié plus énergiquement par les mineurs, qui disaient que Mliss avait décidément tapé dans une bonne conduite. Sur la tombe fraîche, ajoutée aux autres tombes du petit enclos, on grava aux frais du maître une inscription. Le Drapeau de la Montagne-Rouge apporta, lui aussi, son tribut à la mémoire « d’un de nos plus vieux pionniers » avec une délicate apostrophe à « ce poison des plus nobles intelligences » et des façons discrètes d’ailleurs d’enterrer le passé en même temps que « notre cher frère. » — Il laisse pour le pleurer, ajoutait le Drapeau, une enfant unique qui est aujourd’hui une écolière exemplaire, grâce aux efforts du révérend M. Mac Snagley. — Le révérend Mac Snagley faisait en effet grand bruit de la résipiscence de Mliss. Attribuant indirectement à la malheureuse enfant le suicide de son père, il émut l’école du dimanche par des allusions si touchantes, il par la si bien des effets salutaires « de la tombe silencieuse, » que la plupart de ses jeunes auditeurs en demeurèrent muets de frayeur, et que les rejetons roses et blancs des deux premières familles, poussèrent des hurlemens lamentables en refusant de se laisser consoler.

L’été suivit, long et brûlant. A mesure que chaque journée torride se consumait en petites bouffées de fumée gris-perle sur la cime des montagnes, et que, soulevées par la brise, des cendres rouges s’éparpillaient sur tout le paysage, la verdure dont le printemps avait paré la tombe de Smith se flétrit et se dessécha. En ces jours-là, le maître, errant dans le petit cimetière durant les après-midi du dimanche, était parfois surpris de la voir jonchée des rares fleurs sauvages que recèlent les humides forêts de pins ; plus souvent une guirlande grossièrement tressée. s’enroulait à la petite croix rustique. Ces guirlandes étaient faites d’une herbe odoriférante dont les enfans à l’école parfument leurs pupitres, entremêlée de brins de syringa et d’anémones des bois ; çà et là le maître remarquait les sinistres épis de l’aconit. Il y avait quelque chose dans l’association de cette plante vénéneuse avec certains souvenirs qui l’impressionnait péniblement. Un jour qu’il traversait après une longue promenade une crête1 boisée, il rencontra Mliss perchée, au cœur de la forêt, sur un pin renversé dont les branches mortes aux panaches pendans lui formaient un trône fantastique. Elle avait la robe pleine d’herbes, de pommes de pin, et se chantait à elle-même une des mélodies nègres de sa première enfance. Le reconnaissant de loin, elle lui fit place sur son trône, puis d’un air de protection et d’hospitalité lui offrit à manger des pommes