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sauvages. Le maître profita, de l’occasion pour lui faire connaître les qualités malfaisantes de l’aconit, dont les fleurs sombres étaient éparses sur ses genoux, et obtint d’elle la promesse de ne plus y toucher tant qu’elle serait son élève. Ceci convenu, il fut tranquille, ayant déjà mis à l’épreuve sa scrupuleuse probité, et le sentiment pénible qui l’avait envahi momentanément s’évanouit.

Parmi toutes les maisons qui s’ouvrirent pour Mliss aussitôt que sa conversion fut connue, le maître avait préféré celle de Mme Morpher, un type aimable et doux de la femme telle qu’elle fleurit dans nos régions du sud-ouest, et qui jeune fille avait été connue sous le nom de « la Rose de prairie. » Étant de celles qui luttent résolument contre elles-mêmes, Mme Morpher, après une longue suite d’efforts, avait surmonté sa disposition naturelle à l’insouciance, et s’était soumise aux principes d’ordre, qu’elle considérait avec Pope comme la première loi du ciel ; mais elle ne pouvait réussir, quelque précis que fussent ses propres mouvemens, à régler également l’orbite de ses satellites ; parfois même un choc survenait entre elle et son époux. La nature qu’elle avait vaincue s’affirmait surtout dans ses enfans : Lycurgue furetait dans le buffet entre les repas, Aristide revenait de l’école sans souliers, ayant laissé ces articles importans de sa toilette à la porte afin d’avoir le plaisir de barboter nu-pieds dans les fossés. Octavie et Cassandra se moquaient de la propreté. A une seule exception près, la Rose de prairie, quoi qu’elle eût fait pour émonder, redresser, discipliner sa maturité luxuriante, n’avait pu empêcher les petits rejetons de pousser quand même indociles et désordonnés. L’exception unique était Clytemnestre Morpher, familièrement Clytie, âgée de quinze ans, et qui réalisait l’immaculée conception de sa mère : méthodique, bien tenue, terne et lente d’esprit. L’excellente Mme Morpher avait le tort de s’imaginer que, pour Mliss, Clytie était une consolation et un exemple. Égarée par cette illusion, elle jetait Clytie à la tête de Mliss toutes les fois que celle-ci était méchante, et la lui citait comme modèle aux heures de pénitence.

Le maître apprit donc sans trop s’étonner que Clytie allait venir à l’école ; évidemment il devait considérer sa venue comme une grande faveur pour lui et un sujet d’édification pour Mliss et pour les autres, car Clytie était une vraie demoiselle. Héritière des qualités physiques de sa mère et subissant l’influence du climat de la Montagne-Rouge, elle s’était épanouie de bonne heure : aussi toute la jeunesse de Smith’s Pocket, aux yeux de qui ce genre de fleur était une rareté, soupirait pour elle en avril et languissait de désir au mois de mai. Les amoureux assiégeaient l’école à l’heure de la sortie, quelques-uns étaient jaloux du maître. Peut-être ce fut cette dernière circonstance qui lui ouvrit les yeux ; cependant il ne