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avec l’attention distraite que l’on n’apporte que trop souvent à étudier les symptômes de maux dont on n’est pas incessamment menacé ; nous l’avons relue depuis avec l’intérêt que le malade, astreint à un régime en désaccord avec son tempérament, met à étudier le tempérament de son voisin que ce même régime fait vivre. Cette seconde lecture ne nous a servi qu’à constater une fois de plus l’exubérance de la vie politique en Amérique, qui tuerait toute société dont la vie matérielle ne serait pas exubérante à pareil degré, — et même dans ce pays l’avenir de la société paraît déjà au moraliste américain sérieusement menacé par l’invasion d’un mal qui l’inquiète et qu’il signale à ses concitoyens, la corruption politique. Il s’en explique sans hésitation dans sa préface, en même temps qu’il décline éventuellement le reproche d’avoir mis en scène une individualité quelconque à laquelle les spectateurs auraient pu appliquer un nom. « Je me suis proposé, dit-il, en écrivant l’ouvrage que je présente au public sous le titre de l’École de la politique, d’attaquer des maux qui sont devenus tellement sérieux qu’ils sont alarmans, et non d’attaquer un parti ou une personnalité. Quant aux caractères que j’ai dépeints, ils sont fictifs, quoiqu’il n’y ait que trop de réalité dans les scènes de dégradation politique que j’ai retracées. »

La corruption électorale, et c’est plus particulièrement de celle-là qu’il est question ici, est l’accusation ordinaire des minorités battues aux élections. Nous savions déjà par les discussions de tribune et de presse les prix du vote vénal en France et en Angleterre ; M. Gayarré, en nous disant les prix courans de ce genre de vote en Amérique, complète cette curieuse statistique. De ces prix comparés, il ressort que, plus libre est le citoyen, plus cher est son vote. Ainsi en France, où le suffrage universel, au lieu d’être la source du pouvoir, n’en est que le prétexte, le vote de l’électeur trafiquant de son mandat se paie d’un repas d’auberge, d’une surenchère de marchandise sans valeur. En Angleterre, où le vote fait le député, qui fait le ministre, qui fait le cabinet, le prix du vote négociable est déjà fort élevé ; en Amérique, où l’élection est la source des pouvoirs législatif, administratif, judiciaire, le prix de ce genre de vote n’a pas de limite.

Pour mettre un étranger au courant des compromis qui se pratiquent dans les élections aux États-Unis, il fallait un homme du pays et du métier. M. Gayarré est l’un et l’autre ; citoyen de la Louisiane, membre de la législature et ultérieurement du congrès, il sait tout ce que l’on peut savoir des agissemens des partis, il en dit certainement tout ce qu’on en peut dire. S’en est-il servi lui-même à son profit ou à celui de ses amis ? Ce n’est pas probable, puisqu’il en dénonce la pratique ; mais il a vu ses adversaires, il