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dans la république américaine n’est point le simple passe-temps d’hommes engagés en des poursuites industrielles ou autres ; c’est une profession distincte et presque une vocation. L’on est politicien comme l’on est médecin, négociant, banquier. Le stage du politicien est laborieux ; il lui faut avant tout prendre ses degrés de lawyer, et l’homme de loi américain doit embrasser dans sa profession élastique les connaissances de l’avocat, de l’avoué, du notaire, de l’homme d’affaires et, en matière d’élection, de l’homme à tout faire. Il doit être journaliste, orateur, négociateur, servir de la plume, de la parole, au besoin du poignet, les intérêts du parti sous la bannière duquel il s’est enrôlé. Quand pendant des années il aura rempli ces conditions, qu’il sera devenu utile à tous ses amis politiques, ceux-ci le porteront à la législature de son état, et, si là ses qualités d’homme de parti s’affirment, ils le feront arriver au congrès. Sur cette grande scène se rencontre toujours pour le politicien aux aguets l’occasion de passer homme politique ; s’il sait en profiter, son nom, jusque-là connu de ses seuls commettans, devient familier aux électeurs des autres états, et sa candidature aux plus hautes fonctions, y compris celle de président, est dès lors acceptée par l’opinion publique.

Le fauteuil présidentiel est pour les jeunes Américains ce qu’est pour nos soldats le bâton de maréchal. Là-bas tout homme né avec de l’ambition se dit qu’il pourra un jour échanger l’escabeau de bois sur lequel il travaille dans l’office de son lawyer contre ce glorieux fauteuil. Seulement, comme il lui faut acquérir des connaissances spéciales que ne procure pas l’école primaire, l’aspirant politicien est obligé de compléter son instruction à ses frais, de suivre des cours particuliers, de se loger, de se nourrir. Bien souvent il n’a rien à lui ou de chez lui, les parens qui sont pauvres ne pouvant rien donner, et ceux qui ont fait eux-mêmes leur fortune ayant pour principe de laisser à leurs fils le soin de faire la leur. Il arrive alors que, pour se procurer les moyens de subvenir à ces diverses dépenses, le jeune politicien qui dans son enfance avait appris un métier se résigne à faire œuvre de ses bras quelques heures de la journée durant pour consacrer le reste de son temps à son éducation professionnelle.

Ce sont ces traces de travail manuel, retrouvées dans la biographie d’hommes américains éminens, qui ont fait dire à tort en Europe que la démocratie américaine allait chercher à l’établi un tailleur ou un menuisier pour en faire le président de la république. Ils avaient pu travailler de leurs mains courageuses avant que de travailler de leur tête puissante, les Douglas, les Fillmorre, les Lincoln et tant d’autres hommes illustres ; mais ensuite ils avaient lentement gravi un à un les échelons glissans de l’estime publique,