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dernières batailles de Paris un reflet de généreux et mélancolique héroïsme. Le vice primitif et irrémédiable a été dans ce qu’on a bien voulu par euphémisme appeler l’organisation de la garde nationale, dans l’esprit qui a présidé à cette organisation, à la direction de cette masse confuse, dans le laisser-faire qui a régné là comme partout. La première condition était évidemment de constituer une garde nationale assez sérieuse et assez forte pour devenir en peu de temps par ses habitudes de discipline, par son esprit de dévoûment une armée auxiliaire efficace. C’était bien l’intention qu’on avait eue, il faut l’avouer, et au lendemain du 4 septembre on rendait même un décret qui, en élargissant les cadres de la garde nationale léguée par l’empire, pouvait atteindre le but. Que devenait ce décret dans l’application ? Le chef d’état-major de la garde nationale, le colonel Montaigu, le dit dans sa déposition.


« La garde nationale avait dû être organisée sur un effectif de 90 bataillons, et, si on s’en était tenu au décret de Gambetta, elle aurait pu être très bonne. On aurait constitué 90 bataillons de 1,200 hommes, ce qui faisait 108,000 hommes, effectif raisonnable que l’on pouvait composer d’excellens élémens. Par des motifs que je n’ai pas à rechercher, les mairies ont laissé un bien plus grand nombre de bataillons se former, et la garde nationale a pris un développement énorme le jour où les trente sous ont été alloués. Alors elle a reçu des élémens qui n’auraient jamais dû y entrer. J’ai évalué, pour ma part, à peu près à 35,000 hommes les indignes faisant partie de la garde nationale… Les maires, je le crois, je les calomnie peut-être, n’étaient pas maîtres dans leurs mairies. Il s’était institué des commissions d’armement, des commissions d’équipement, des commissions de barricades, qui exerçaient beaucoup d’influence. Les maires avaient une besogne à laquelle il était impossible que non-seulement un homme, mais une réunion d’hommes pût suffire ; il en résultait qu’on laissait faire. Je suis allé trouver les maires plus d’une fois, et je leur ai dit : « Prenez garde à ce que vous faites. » Ils n’ont pas tenu compte de mon observation, ils ont continué, et en dernière analyse, au lieu des 90 bataillons, il y en a eu 200 nouveaux, auxquels il faut joindre les 60 anciens… »


Voilà le principe du mal. Le gouvernement n’était pas maître d’exécuter ses décrets, les maires n’étaient pas maîtres dans leurs mairies, quand ils n’étaient pas complices du désordre. Tout allait à la diable, et de cette extension indéfinie de la garde nationale il résultait deux conséquences redoutables qui ne faisaient que se développer en s’aggravant : la première, c’était que les bons et solides élémens se trouvaient noyés dans les mauvais au point de devenir impuissans, d’honnêtes ouvriers se confondaient avec des