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qui serait peut-être devenue promptement une aventure, et dont le pays en définitive aurait payé les frais. Les hommes éminens ou distingués qui ont été chargés d’étudier le nouveau système de recrutement de l’armée ont compris qu’ils avaient par-dessus tout à faire une loi destinée elle-même à préparer la transformation graduelle des mœurs et des institutions militaires de la France, la transition mesurée d’une situation à une autre situation. C’est le caractère et le mérite de leur travail. La commission a fait son œuvre, et l’assemblée en est depuis quinze jours à faire la sienne en discutant le projet soumis à ses délibérations, en y portant un zèle et un intérêt qui n’ont fait que grandir jusqu’au moment où la question militaire a failli disparaître dans la question politique soulevée à l’improviste par M. le président de la république. Naturellement toutes les opinions se sont manifestées, toutes les contradictions se sont fait jour : elles se sont particulièrement attachées avec une passion plus ou moins vive, avec un succès plus ou moins réel, à deux ou trois points qui, sans être toute la loi, en sont cependant comme les points culminans, la durée du service dans l’armée active, les sursis temporaires accordés à une certaine classe de jeunes gens retenus par leur apprentissage ou par des travaux agricoles. Il reste, il est vrai, une question qui n’est pas la moins grave, celle du droit de substitution, qui ne serait guère qu’un remplacement déguisé de nature à porter une atteinte réelle, quoique indirecte, au principe du service obligatoire.

Ce qu’on peut dire, c’est qu’entre une certaine incohérence du début et le dernier orage, que rien ne laissait pressentir, à mesure qu’on est entré plus avant dans l’étude de la loi, il s’est produit une discussion brillante, sérieuse, animée, qui est assurément l’honneur de l’assemblée aussi bien que des orateurs qui ont figuré dans ce débat. On sentait qu’on faisait trêve un instant aux préoccupations de parti pour s’occuper avec une généreuse et patriotique émulation de la plus grande affaire du pays. Le général Trochu, reprenant et serrant de plus près la question, a fait un nouveau discours plein d’éclat, de savoir et de verve sur la durée du service actif, qu’il aurait voulu restreindre à trois ans. Le général Chanzy, le général Ducrot, ont soutenu leur opinion, qui était l’opinion de la commission, avec autant de fermeté que de talent. M. Gambetta lui-même, parlant contre les sursis d’appel, a subi l’influence modératrice du moment, et il a prouvé qu’à traiter sérieusement les choses sérieuses il gagnait infiniment plus qu’à se lancer dans toutes les divagations retentissantes. M. le président de la république enfin est venu couronner cette discussion par un de ces discours abondans, instructifs, attachans, où l’expérience et l’habileté du politique se parent si merveilleusement de grâce et d’esprit. Dire que M. Thiers partage toutes les vues qui ont cours depuis quelque temps, qu’il a le goût des innovations en matière d’organisation des armées, ce serait un peu exa-