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les délibérations publiques, et que toutes les fantaisies se donnent carrière. Les propositions et les amendemens se multiplient au point de compromettre quelquefois les plus sérieux intérêts. On croit peut-être que c’est l’idéal parlementaire ; non, c’est l’incohérence, qui peut conduire tout droit à l’impuissance, si l’on n’y prend garde, si au lieu de se plaindre de M. Thiers on ne songe pas à mettre un certain ordre dans cette vie publique qui va un peu à l’aventure.

Sait-on en effet ce qui se dégage de plus clair de ces incidens dont nous avons de temps à autre le spectacle aussi pénible que singulier ? C’est que tout cela n’arriverait pas, s’il y avait dans l’assemblée ce que tous les esprits sensés demandent avec une impatience croissante, une direction visible, une majorité sérieuse, réelle, ayant ses chefs écoutés, choisissant son terrain d’action, mettant toujours l’intérêt du pays au-dessus des intérêts des partis. Si cette majorité existait, si elle se manifestait par une impulsion palpable, éclatante, la situation de la France s’en ressentirait immédiatement ; la marche des affaires prendrait une assurance qui lui manque souvent aujourd’hui. Les conflits ne se produiraient pas, parce que le gouvernement, à la fois appuyé et contenu, saurait avec quoi il doit compter, et si à la dernière extrémité il y avait des conflits, ils seraient sans danger. Au lieu de cette constitution régulière des partis, il y a bien encore, si l’on veut, une majorité, mais une majorité flottante, mobile, toujours prête à se fractionner ou à se rejoindre selon le hasard d’une discussion ou l’inspiration du moment, une majorité livrée quelquefois aux fantaisies de tous ceux qui servent en volontaires indépendans dans cette armée confuse. Alors un jour vient où l’on se réveille en sursaut devant une sommation un peu vive de M. le président de la république ou devant des élections comme celles qui viennent d’avoir lieu dans le Nord, dans la Somme, dans l’Yonne, en Corse, et qui ont causé la plus désagréable surprise à l’assemblée en lui envoyant, tout compte fait, un contingent de trois radicaux ou républicains et un bonapartiste. C’était tout ce qu’on pouvait faire de plus désobligeant pour elle. On pourra chercher partout où l’on voudra le secret de ce résultat électoral, qui n’a en effet rien de trop rassurant ; nous l’expliquons à notre manière, par la division et l’inertie des partis conservateurs, par le rôle nécessairement effacé ou passif qu’ils se font dans l’assemblée et par suite dans le pays.

Qu’on remarque bien la situation étrange de toutes ces fractions conservatrices qui triomphaient si complètement au 8 février 1871 dans une heure d’angoisse nationale. Chacune d’elles tient à garder son vœu secret, sa préférence, son arrière-pensée, son drapeau, sans se confondre avec les autres ; mais aucune d’elles ne se sent le pouvoir d’aller jusqu’au bout de ses opinions, d’établir son ascendant. Elles veulent bien toutes, dans un intérêt d’ordre public, se résigner à ce qui existe, se