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avantage, qu’il s’agit d’un pays neuf qui n’a pas derrière lui des siècles de travail et de civilisation. Tous progrès datent de Pierre le Grand. Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, les bassins supérieurs du Dnieper et du Volga constituaient toute la Russie ; c’est là que subsistent les villes saintes, Moscou, Vladimir, Kief. La conquête de la Finlande et du littoral de la Baltique, la création de Saint-Pétersbourg, déplacèrent le centre de gravité de l’empire. Pour mettre ces nouvelles provinces en relation commerciale avec les anciennes, les fleuves ne suffisaient plus, il fallait des canaux : ce fut l’œuvre du XVIIIe siècle ; les routes ne devaient s’ouvrir que cent ans plus tard. Relier les bassins de la Neva, du Niémen et de la Vistule à ceux du Dnieper et du Volga fut la première préoccupation des ingénieurs. Au surplus, ces travaux n’exigeaient pas de grands efforts de génie, car les lignes de faîte qui séparent les versans de la Baltique, de la Mer-Noire et de la Caspienne ont un très faible relief au-dessus des vallées. Il existe maintenant plusieurs lignes de canaux qui supportent fort bien la concurrence des routes et des chemins de fer. En une seule année, 1856, la navigation intérieure amenait dans la capitale 18,000 bateaux et 1,200 radeaux portant des cargaisons évaluées à 50 millions de roubles. Ce résultat est d’autant plus remarquable que le transit par eau ne dure que de sept à neuf mois de l’année.

Il y a soixante ans, les routes n’existaient pour ainsi dire pas. C’étaient des plates-formes en terre mal réglées, bordées de fossés étroits, renforcées au passage des marais par des madriers et des troncs d’arbres. Se rendre de Moscou à Saint-Pétersbourg était alors aussi difficile que de pénétrer aujourd’hui au centre de l’Afrique. En 1809, l’empereur Alexandre Ier, en un moment de généreuse initiative, institua le corps des ingénieurs des voies de communication, dans lequel, faute d’élémens indigènes, il fut heureux d’introduire plusieurs ingénieurs français. Les cadres en étaient assez étendus ; mais, par suite de déplorables habitudes bureaucratiques, plus du quart des fonctionnaires résidaient à Saint-Pétersbourg. Aussi les travaux accomplis depuis soixante ans ont-ils peu d’importance. Il n’existait naguère (en 1860) que 10,000 kilomètres de routes, ce qui est peu pour un si vaste empire. Pour avoir été construites si récemment, ces routes ne sont pas mieux tracées que les vieilles chaussées de la France. On a suivi les anciens sentiers, sans chercher par des détours à éviter les pentes. Les alignemens droits s’étendent à perte de vue. En outre, mal entretenues en été, bouleversées par le dégel à chaque printemps, elles sont presque toujours en mauvais état. Quand il fallut ravitailler l’armée du sud pendant la guerre de Crimée, les attelages de provinces entières