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se trouverait en face d’une sottise qui n’aurait pour elle que le temps. Tel est le sort de toutes les choses de ce monde ; les plus belles fleurs sont piquées par les chenilles, les plus tendres arbrisseaux broutés par les chèvres, et les plus nobles coutumes déshonorées par la bêtise.


II. — CHASTELLUX.

Dans la foule immense des petits dieux qui composaient le panthéon du paganisme romain, y en avait-il un qui présidât aux voyages? et y en a-t-il un dans cette Chine qui reconnaît les génies tutélaires de la porcelaine, de la laque et des lanternes? Pour moi, je suis porté à croire qu’il existe en effet une providence toute spéciale pour le touriste, pourvu toutefois que celui-ci joigne à l’ardeur du curieux quelque chose du respect du pèlerin. Combien de fois il m’est arrivé de reconnaître par exemple que des accidens que tout voyageur aurait le droit de regarder comme des contre-temps se trouvaient au contraire des rencontres fortuitement heureuses! Une journée de pluie ou de brouillard ne sera jamais la bienvenue, et cependant il est tel site, tel paysage, tel monument même, qui ne ressortent dans tout leur caractère que par de pareilles températures. Ainsi j’ai fait la route d’Avallon à Vézelay par une tempête de neige, que j’avais maudite au départ comme un mortel aux jugemens précipités, et celle d’Avallon à Chastellux par le plus gai des soleils de printemps, justement les deux températures qui conviennent à l’une et à l’autre excursion; la nature avait donc mieux choisi pour moi que je n’aurais choisi moi-même. Autant ces rafales de neige s’harmonisaient bien avec l’âpreté sombre de la campagne qui mène à Vézelay, autant ce gai soleil était bien d’accord avec la sauvagerie riante de la campagne qui mène à Chastellux. Peu d’horizon et de perspective, car la vue rencontre presque partout un obstacle, bornée qu’elle est par les accidens d’une nature montagneuse. Une jolie route serpentant en plis et en replis sans fin vous présente un à un chaque trait de cette campagne, sans que vous puissiez en perdre un seul, et vous en fait pour ainsi dire jouir en détail. A chaque tournant, le décor change, décor étroit dont l’œil caresse tout à loisir le moindre aspect, un bouquet d’arbres bien groupé, un rocher pittoresquement campé sur le flanc de la route, un bout de bruyère; il n’y a de permanent dans cette succession de gentils changemens à vue que l’aimable persistance avec laquelle le petit ruisseau du Cousin s’acharne à vous escorter pendant la plus grande partie de votre route, tantôt se dérobant sous les ombres des arbres, tantôt poursuivant sa course à découvert de toute la vitesse de ses petits flots,