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et faisant ainsi au paysage vert une mobile lisière d’argent, comme une frange borde le champ d’une étoffe ou d’un tapis. Enfin à un dernier tournant apparaît Chastellux, véritable résumé et expression parfaite de tous les caractères de la nature qu’on vient de parcourir. Le lieu est d’une sauvagerie d’un goût exquis, d’une sauvagerie heureusement proportionnée, agreste avec art, tourmentée pour ainsi dire avec esprit; c’est une pensée de la nature des mieux conçues et des mieux rendues, une inspiration romantique de la grande déesse exécutée avec une netteté toute classique. Cela est fauve avec grâce comme le cerf et le chevreuil, et non sinistrement fauve à la manière du loup, comme la campagne de Vézelay que nous avons précédemment décrite. La route court par une descente rapide au ravin que forme la Cure : en face, le château de Chastellux se détache avec un vigoureux relief à mi-côte d’une hauteur dont l’escarpement n’a rien de bien pénible; au bas, la limpide Cure, bien endiguée entre deux murailles de rochers, tourne avec une rapidité torrentueuse au pied de la colline, qu’elle voudrait plus étroitement embrasser, et, murmurant son dépit avec des clameurs de cascades, pousse avec une vivacité quasi colérique ses flots sans souillures sur un lit de roches aussi vierge d’impuretés que le fut la nature à son premier état. Voilà toutes les parties constitutives de ce paysage : vous voyez qu’elles sont simples et faciles à dénombrer; mais ce qui ne peut se rendre, c’est la perfection avec laquelle ces quelques élémens se sont groupés et fondus. C’est ainsi qu’avec quelques accords un musicien de génie sait enfanter une mélodie ravissante, et qui reste d’autant mieux gravée dans le souvenir qu’elle est moins compliquée.

Le château de Chastellux est le lieu de résidence des derniers descendans d’une des familles les plus illustres de Bourgogne. Avec un peu d’envie de flatter, on pourrait la faire remonter aisément jusqu’au Xe siècle, car on suit sans difficulté à travers toutes les vicissitudes des héritages, des mariages, des transferts de titres, l’histoire des seigneurs de Chastellux jusqu’à cette lointaine époque; mais le représentant actuel de cette famille, démontrant une fois de plus que la véritable noblesse se contente de ses titres et n’éprouve pas le besoin de s’en fabriquer d’apocryphes, a découragé par avance les efforts des flatteurs futurs. De ses recherches, qu’il a consignées dans un livre d’une étendue considérable[1], il résulte qu’il y a eu jusqu’à ce jour deux maisons très distinctes de Chastellux, celle des premiers seigneurs, qui s’éteignit dans la seconde moitié du XIVe siècle par un mariage et un transfert de titres, et

  1. Histoire généalogique de ta maison de Chastellux, par le comte de Chastellux; Avallon, 1869.