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accidens de la fortune n’ont pas entraînés trop loin, ou dont la marée des circonstances a rejeté complaisamment les restes sur la plage natale. La plupart dorment là où la mort les a surpris, celui-ci à Strasbourg, celui-là à Perpignan ; les innombrables champs de bataille de l’ancienne France renferment la cendre anonyme des autres.

Bien que le château de Chastellux ait retenu en grande partie son ancienne forme féodale, on peut dire que c’est un château tout moderne. Sauf les premières salles, surtout celle dite des gardes, qui conservent le grand aspect des habitations seigneuriales du XVIIe siècle, les dispositions intérieures nous ont paru toutes en parfaite harmonie avec les exigences et les commodités de la vie nouvelle. Quant à cette première salle, elle compose un décor des plus heureux : là vivent encore les mânes et les ombres des longs siècles écoulés. Comme un diadème aux nombreux fleurons, les blasons des anciens Chastellux, des Montréal, des Beauvoir, couronnent la haute cheminée féodale ; au-dessous serpente une belle devise chevaleresque dont le texte, si ma mémoire n’est pas trop infidèle, est à peu près celui-ci : contra virtutem fortana nequit. Les murs sont tendus de jolies tapisseries représentant des scènes d’équitation, voltiges, dressages de chevaux, et que pour cette raison je serais porté à croire assez rapprochées de l’époque Louis XIII, où l’équitation devint chez nous un art qui eut ses philosophes et ses docteurs. Aux quatre angles de la salle sont suspendues en faisceaux habilement formés des armes de toutes les époques, cottes de mailles, boucliers, gantelets de chevaliers, haches d’armes féodales, arquebuses et pistolets de gentilshommes du XVIe siècle, épées et mousquets d’officiers du roi. La salle des portraits des ancêtres serait aussi fort curieuse, s’il était possible de croire que toutes ces images offrent la ressemblance approximative des personnages qu’elles représentent ; malheureusement le doute est permis, au moins pour les siècles qui précèdent le XVe, et il est trop probable que ces portraits n’ont pas plus d’authenticité pour la plupart que les images des rois de la première et de la seconde race qui ornai nt autrefois les histoires de France populaires. Plus intéressante pour nous est la salle où sont suspendus les portraits des membres et des alliés modernes de la famille, surtout ceux qui appartiennent à l’ancienne magistrature, les Daguesseau, les d’Ormesson. Parmi ces portraits, il en est un qui réveille mieux que des souvenirs historiques, car, soulevant dans le cœur une fraîche brise poétique, il chasse en un instant toute cette poussière du passé comme un doux souffle d’avril chasse les débris des feuilles rouillées par l’hiver.

Ceux qui ont une âme sensible à la beauté peuvent aller en pèle-