Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rejeton d’une si vieille race s’y montre tout le contraire du laudator temporis acti. Il prit part à tous les mouvemens de cette époque, depuis la querelle des gluckistes et des piccinistes, jusqu’aux débats que souleva la découverte de la vaccine, dont il fut dès l’origine le partisan si convaincu que, pour vaincre l’obstination de ses paysans par son exemple, il fit pratiquer sur lui-même l’opération du vaccin, que peu de personnes osaient alors affronter. Encore dans toute la force de l’âge lorsque l’expédition d’Amérique fut décidée, le chevalier de Chastellux fit partie de cette petite armée de Rochambeau, qui contenait tant de volontaires de la noblesse, plus jeunes, mais non pas plus enthousiastes que lui. C’est un des plus parfaits représentans de la manière de penser de cette noblesse du dernier siècle, à laquelle l’opinion révolutionnaire aurait dû plus de justice, et qu’elle a payée d’une si cruelle ingratitude. Pour moi, plus je lis les écrits de cette noblesse de la fin du XVIIIe siècle, le chevalier de Chastellux, le comte de Ségur, le prince de Ligne, pour ne citer que les noms qui ne sont pas sur les lèvres de tout le monde, et plus je suis étonné de l’ardeur et de l’imprudence de leur libéralisme. Ce qui se rencontre de généreuse illusion, quelquefois même de magnanimes utopies dans leurs opinions est inconcevable. Les uns ont complètement oublié ce qu’est en réalité la nature humaine, les autres ne veulent pas s’en souvenir et reportent au passé les parties de mal dont elle est mêlée, les autres enfin refusent nettement d’y croire et sont tout disposés à traiter de menteurs et de charlatans ceux qui leur montrent l’homme tel qu’il est. Encore une fois, plus de justice leur aurait été due, mais quand donc les sociétés humaines ont-elles eu le temps et la liberté d’être reconnaissantes, quand donc l’ingratitude n’a-t-elle pas été leur loi?

Dans une vieille tour distincte du château actuel et de date plus ancienne, on m’a montré six pavés en mosaïque, découverts récemment dans une propriété du comte de Chastellux. Ce dallage de maison romaine avait fait espérer d’autres découvertes; les fouilles entreprises sont restées sans résultat. Ces mosaïques n’ont d’ailleurs rien de particulièrement remarquable, si ce n’est une parfaire conservation; nous avons voulu les mentionner cependant parce qu’elles nous fournissent une conclusion toute naturelle pour ce chapitre, consacré aux souvenirs d’un passé très ancien. Par derrière ce passé, ne nous en montrent-elles pas en effet un plus ancien encore, ne nous rappellent-elles pas qu’il y a maintenant dix-neuf siècles que nos pères furent tirés de la barbarie et introduits dans la civilisation par la main puissante de Jules César, et ne nous disent-elles pas combien nous sommes vieux? réflexions qu’il est utile de faire de temps à autre comme la meilleure des sauvegardes contre l’imprudence et la présomption.