Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et un petit, formant la croix d’archevêque, un chœur et une abside, et était percée de trois cent une fenêtres. De cet immense édifice, tout ce qui reste maintenant, c’est une énorme tour octogone à l’extérieur, d’aspect un peu lourd et bizarre aujourd’hui qu’elle est séparée de l’ensemble avec lequel elle s’harmonisait, — et à l’intérieur l’extrémité méridionale d’un des bras du grand transept. C’est bien peu certes, et cependant ce peu suffit pour recomposer assez bien l’édifice en imagination, surtout si on complète ce précieux document de pierre par les souvenirs de quelques-unes des églises abbatiales qui avaient emprunté en partie leur architecture à l’église-mère dont elles dépendaient, Saint Philibert de Tournus, Sainte-Croix de La Charité sur Loire par exemple. On aura une idée de la grandeur de l’édifice, si nous disons que ce bout de transept restant suffit à lui seul à constituer toute une église, et qu’il forme aujourd’hui la chapelle où les cinq ou six cents enfans et jeunes gens qui composent le collège et l’école normale professionnelle de Cluny assistent aux cérémonies du culte. Je dois à ce transept la perte d’un préjugé très ancien. Jusqu’à présent j’avais cru que l’art roman était moins capable que le gothique d’élancement, de sublimité mystique ; il a bien fallu me rendre à l’évidence, et certes toute personne qui pénétrera sous cette voûte d’une hardiesse sans égale sera détrompé comme moi. L’œil suit avec étonnement le vol de ces colonnes qui s’élancent vers la voûte avec une agilité qui défie celle de la plus svelte ogive, et qui viennent réunir leurs extrémités dans un arc brisé d’une élégance incomparable. Nul édifice n’a jamais produit, avec des proportions restreintes qu’on peut calculer et mesurer, une pareille idée de la hauteur. Cette voûte, c’est vraiment l’inaccessible rendu visible ; mais, hélas ! ce sentiment de la hauteur est tout ce que ce transept crée avec certitude : il ne peut nous donner à aucun degré un égal sentiment de la profondeur, car les longues allées auxquelles il se reliait ont disparu, et l’œil, rencontrant de toutes parts la barrière de cloisons infranchissables, n’a d’autre ressource pour échapper à cette prison que de se lever en haut et d’aller chercher sa liberté dans la contemplation de la voûte.

Ce transept, dis-je, est tout ce qui reste de l’ancienne église de Cluny, sauf une chapelle gothique construite au XVe siècle par l’abbé Jean de Bourbon, et qui est maintenant distincte de l’édifice auquel elle se reliait autrefois. Cette chapelle, très bien conservée, à l’exception des sculptures, qui ont été fort mutilées, est d’une remarquable élégance, mais cette élégance paraît bien fade au sortir du grand transept. Quant aux débris de l’abbaye qui ont été sauvés de la destruction complète, aux éclats lancés par la mine qu’il fal-