Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour le même impôt, à des conditions très différentes, suivant les lieux qu’ils habitaient. A la veille même de la révolution, on distinguait encore les provinces de grandes gabelles, — de petites gabelles, — de salines, — les pays du quart bouillon, — les provinces rédimées, et les provinces franches. Les provinces de grandes gabelles comprenaient les plus anciennes enclaves de la monarchie; elles s’approvisionnaient dans les greniers du roi, la consommation forcée y était établie, et c’était sur elles que l’exploitation fiscale s’exerçait avec le plus de rigueur. Les provinces de petites gabelles s’approvisionnaient également dans les greniers; elles étaient sujettes aux mêmes tarifs, mais la consommation y était libre. Les provinces de salines subissaient la consommation forcée; cependant, comme elles alimentaient les greniers, elles payaient le sel moins cher que dans les deux premières zones. Les provinces rédimées ne payaient rien et jouissaient d’une liberté complète, parce qu’elles s’étaient rachetées sous Henri II moyennant 1,700,000 livres; il en était de même des provinces franches, Bretagne, Artois, Flandres, Trois-Évêchés, Basse-Navarre, c’est-à-dire des provinces le plus récemment annexées ou conquises, les rois ayant cherché à gagner leur attachement et leur fidélité par des privilèges d’exemption. Enfin les pays de quart bouillon, tout en jouissant de certaines immunités, ne pouvaient user que du sel produit sur les lieux mêmes par l’ébullition du sable imprégné d’eau de mer.

Au milieu de cet enchevêtrement, la consommation variait, suivant les lieux, entre 9 livres et 25 livres par tête; elle rapportait au fisc 30 millions sous Louis XIV, et 58 sous Louis XVI; mais, par suite des franchises locales, cette somme n’était prélevée que sur les deux tiers environ de la population totale, soit 16 millions de contribuables, et encore fallait-il déduire de ces 16 millions les privilégiés de la noblesse, du clergé et de la bourgeoisie, car, s’il était admis en principe que les trois ordres étaient soumis aux impôts de circulation et de consommation, y compris les gabelles, une foule d’individus trouvaient moyen de s’en faire exempter, soit par faveur, soit par argent. Une grande partie du fardeau se trouvait ainsi rejetée sur les non-privilégiés, qui payaient pour les autres, et, comme tous les impôts exagérés, inégalement répartis et durement perçus, les gabelles, depuis le XIVe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe, donnèrent lieu aux plus vives réclamations, et produisirent les mêmes effets que tous les impôts entachés des mêmes vices, c’est-à-dire la contrebande et la révolte.

Ce n’était point seulement aux frontières du royaume, c’était au cœur même de la France que la contrebande s’exerçait sur la plus grande échelle. Les droits étant très élevés dans certaines zones, et