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des petits; » mais elle n’en a point effacé le souvenir, car il est des institutions qui disparaissent sans se faire oublier, quand elles ont été une source d’oppression et de misère, témoin l’inquisition, la dîme et les droits féodaux[1], dont les partis s’arment encore aujourd’hui contre le catholicisme ou les éventualités d’une restauration monarchique. Il en est de même pour l’impôt du sel. On sait vaguement dans les foules qu’il a contribué à la chute de l’ancienne monarchie; on sait qu’il a fait peser sur les classes roturières un intolérable fardeau, que les bagnes se sont ouverts, que les échafauds se sont dressés pour ses victimes, et c’est là sans aucun doute la cause obscure et lointaine de la réprobation qu’il inspire, sans que rien dans le présent vienne justifier, comme nous allons le voir, les préventions dont il est l’objet.


II.

La loi de 1790 avait déclaré le commerce du sel entièrement libre. Ce fut pour le budget une perte nette de 60 millions, et par suite une cause aggravante des embarras financiers; mais on était encore trop près du régime des gabelles pour rétablir, même après la réforme complète des anciens abus, un droit quelconque, si minime qu’il pût être, sur une denrée qui, après avoir été regardée comme la propriété du roi, était regardée comme la propriété du peuple. Au lieu d’imposer le sel, on vendit les salines appartenant à l’état; cependant, comme tous les gouvernemens, quels que soient leurs principes et leur origine, finissent toujours par se retrouver en présence des mêmes nécessités budgétaires, il fallut après quelques années rendre au fisc la matière imposable que la révolution lui avait enlevée, et de nouvelles taxes furent établies en 1803. La loi du 24 avril 1806 fixa les droits à deux décimes par kilogramme, et le produit de ces droits dépassa l’année suivante la somme de ho millions, ce qui représentait 1 fr. 25 cent, environ par tête d’habitant. Les tarifs restèrent à peu de chose près les mêmes pendant toute la durée du premier empire, car Napoléon se défiait sagement des innovations en matière de finances, et c’était surtout par des contributions levées en pays ennemi qu’il faisait face aux dépenses intérieures et aux armemens de terre et de mer, conformément à la maxime que « la guerre doit nourrir la guerre. »

  1. La dîme et les droits féodaux ont été exploités, dans certaines professions de foi radicales, comme l’un des argumens les plus concluans en faveur de l’abolition définitive de la monarchie. « Si vous choisissez des députés qui travaillent au rétablissement de la royauté, elle vous ramènera la dîme et les droits féodaux. » Il n’en fallait pas davantage pour faire voter les ruraux contre les candidats prétendus monarchistes.