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n’entachera certes d’aucun discrédit la gloire du plus charmant de grands maîtres de l’école française. Période féconde, illustre, où le génie du compositeur, sa renommée et sa force d’attraction sur le public rendaient l’œuvre facile aux directeurs. En même temps que l’auteur de Guillaume Tell, on avait l’auteur des Huguenots, et quand Auber n’arrivait pas, on prenait Halévy. Aujourd’hui nous n’en sommes plus là; les âges héroïques sont clos, nous commençons l’ère des épigones. A nous de ne rien négliger pour la parcourir dignement. Tout le monde ne peut être Homère, et c’est bien aussi quelque honneur d’être un homéride. En ce sens, le mot d’épigone ne saurait blesser personne, et doit au contraire être pris en bonne part. M. Gounod, M. Thomas, M. David, M. Massé, sont des épigones, ce qui ne nous empêche pas de les appeler des maîtres comme en Angleterre on donne à tous les fils de duc le titre de lord par courtoisie. La nature, si prodigue qu’elle soit, n’enfante pas que des héros, elle a ses temps d’arrêt pour donner au public le loisir de se reconnaître et prendre pleine et entière possession des richesses de son héritage. C’est même une des attributions de ces esprits venus aux périodes intermédiaires de nous faire mieux apprécier (fût-ce par le simple contraste) ces chefs-d’œuvre dont ils parlent forcément la langue, qui s’impose à eux dès l’origine. Quand nous avons la veille entendu Hamlet ou Faust, la grandeur de Guillaume Tell ou des Huguenots nous entreprend davantage, et l’autorité parfois souveraine de cette inspiration, de ce style, agit sur nous d’autant plus vigoureusement que nos impressions récentes sont de nature moins relevée. On n’estime à sa valeur le vieux sèvres qu’en mettant à côté d’autres porcelaines, qui d’ailleurs n’en sont point pour cela dépréciées. De même que ces talens à la suite se sont formés après et d’après les grands modèles, de même se forment et se formeront d’autres épigones, avec lesquels la nouvelle administration trouvera bien moyen de faire son jeu. Les vieilles étoiles s’en vont, d’autres les remplacent de moindre valeur, et ce n’est ni la fin du monde, ni la fin de l’Opéra.

Nous parlions naguère de la troupe et de ce qu’il était permis d’en attendre. L’ensemble peu à peu se coordonne et se complète, d’intéressantes virtuosités se signalent à l’attention : Mlle Fidès Devriès par exemple, qui l’autre soir dans l’Elvire de Don Juan prenait place au premier rang. Qu’on vienne encore nous parler de mauvais rôles; ainsi chanté, joué, ce personnage sacrifié d’Elvire accuse à l’instant une importance dramatique et musicale dont le public ne se doutait pas. C’était dans la salle une surprise toute joyeuse, et sur la fin de l’air qui se chante aux Italiens, et que Mlle Devriès a rétabli dans la partition française, des applaudissemens ont éclaté comme jamais aucune Elvire n’en avait entendu. Mlle Nilsson, au sujet de laquelle on fit trop grand bruit jadis au Théâtre-Lyrique, avait des qualités exquises, de merveilleux essors de voix, dans