Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/235

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saisir l’occasion que de remettre ce drame à la scène, juste au moment où cent représentations de Ruy Blas à l’Odéon viennent encore d’en avarier le type principal, usé désormais jusqu’à la corde.

Je ne puis me figurer que M. Jules Massenet ait choisi cet ancien drame uniquement pour se donner le plaisir d’écrire de la musique espagnole, de rhythmer des boléros et de scander des fandangos et des sévillanes. Quand on compose comme lui des suites d’orchestre, on ne s’amuse point aux séguidilles. M. Massenet aura pris ce texte tout simplement parce qu’il n’en avisait point d’autre à sa portée, et c’est ici que nous démasquons l’inconséquence de ces jeunes et fougueux esprits qui se prétendent les adeptes de la musique de l’avenir, et qui la plupart du temps, inabordables dans la théorie, se montrent pleins d’accommodemens dans la pratique. Ainsi M. Bizet, le meilleur du groupe, écrit des intermèdes de vaudeville pour l’Arlésienne, une sorte d’églogue prétentieuse en désaccord avec tous ses principes, et M. Jules Massenet, l’auteur des suites, embrasse les autels de M. d’Ennery. Est-ce donc là ce que nous enseigne la doctrine? Et d’abord le véritable réformateur, le sincère apôtre de la mélodie continue n’admet point qu’on s’adresse à des librettistes; il est à lui-même son poète et son musicien, ses opéras sont des légendes, des mystères, des mythes, qu’il distribue autant que possible en trilogies et tétralogies. La belle affaire en vérité de venir dogmatiser au nom d’une école pour en trahir ensuite devant le public les règles fondamentales! Mettre en musique Don César de Bazan, écrire sur ce sujet de libretto italien des duos, des trios, des cavatines et jusqu’à des chansonnettes, mais vous n’y songez pas! Et la théorie, et le système? Vous vous appelleriez Verdi ou Mercadante que vous n’agiriez pas autrement. Si ces deux noms me viennent à la plume, c’est que le sujet les invoque à tout instant, et qu’on se dit : Pourquoi l’un ou l’autre n’est-il point là? Personne, j’en réponds, ne contestera les qualités symphoniques de M. Massenet : il y a même dans sa partition un ou deux morceaux bien réussis au point de vue de la scène, le duo des deux basses et le quatuor du duel. C’est écrit d’un style net et sûr, qui néanmoins, à force de courir après la distinction, tourne souvent au précieux, et dans sa chasse continue aux sonorités embrouille ses timbres, et sophistique tellement son jeu qu’il lui arrive d’obtenir juste le contraire de l’effet qu’il poursuit et de faire sourd. Quant au sens dramatique, rara avis, rien ne dit qu’un jour ou l’autre M. Massenet ne mettra pas la main dessus ; mais ce qui est certain, c’est qu’il ne l’a pas trouvé dans son berceau. Il faut d’ailleurs que l’inexpérience de l’âge s’accuse par certains côtés; ce n’est guère au début qu’on écrit le quatuor de Rigoletto ou le duo du Giuramento. Cette musique intéresse, elle n’émeut point, et, comme elle laisse presque toujours la situation à décou-