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qu’il fera, bon gré mal gré, le thème de son chant nuptial de Lohengrin. Il faut croire que M. Jules Massenet n’y aura pas regardé de si près, sans quoi il se serait, lui aussi, détourné de son travail avec dégoût en s’apercevant qu’il s’approvisionnait de mélodies au marché des Italiens, et wagnérisait tout bonnement du mauvais Donizetti.

Chose étrange d’avoir à retourner contre ce système actuellement en honneur le vieil argument dont on poursuivait jadis le genre italien, qu’on accusait de n’être qu’un simple concert vocal; aujourd’hui c’est concert instrumental, soirée symphonique qu’il faut dire. Aux habitués du Conservatoire, qu’on demande du recueillement, rien de mieux; mais le public qui hante l’Opéra-Comique entend se réjouir un peu, et préfère aux sublimités de l’école d’humbles motifs faisant corps avec une pièce amusante. Vous nous dites : Ce public-là est méprisable et ne se compose que d’un tas de bourgeois incapables de comprendre quoi que ce soit à l’unité d’une œuvre d’art. Nous ne demanderions qu’à vous croire; mais alors quelle rage est la vôtre d’écrire des opéras-comiques pour ces philistins qui ne veulent que des variations sur des thèmes connus? Réservez donc à plus noble usage vos thèmes neufs, gardez pour les vrais cliens vos trésors de science précoce, faites des symphonies, faites des suites.

Nous ne détestons pas le moins du monde la théorie, nous désirons simplement la voir s’exercer sur un champ libre. Il y a un genre qui n’existe qu’en France et qui s’appelle l’opéra-comique; ce genre a produit des chefs-d’œuvre, et ce qui prouve qu’il n’est point mort, c’est qu’après mille et douze cents représentations la Dame blanche et le Pré aux Clercs attirent encore la foule. Venir à présent réagir contre ce genre sur la scène même de ces succès, est-ce nécessaire, est-ce habile? Tout ceci prêche irrésistiblement en faveur d’une restauration du Théâtre-Lyrique tel que nous l’avons vu jadis fonctionner au Châtelet. Il faut entre l’Opéra, presque inabordable, et l’Opéra-Comique, dont la forme doit être maintenue, qu’il y ait à Paris une salle où se puissent produite les musiciens qui veulent, comme on dit aujourd’hui, faire grand. Les occasions ne nous manqueront pas d’étudier ces tendances nouvelles, dans lesquelles jusqu’ici la préoccupation technique, la curiosité seules prédominent. Les situations, les conflits dramatiques sont d’avance abandonnés, les caractères deviennent ce qu’ils peuvent; on s’en tiendrait volontiers à n’écrire que des introductions et des entr’actes : espèce d’arabesques, d’illustrations où la virtuosité se donne carrière. Et remarquez l’analogie entre la peinture du jour et cette musique. Des deux côtés bizarres amalgames, dissonances et criardes juxtapositions qui réussissent par des audaces magistralement calculées. Songez aux partis-pris de M. Carolus Duran dans ses portraits, aux tonalités tapageuses de Regnauld; nos musiciens n’ont pas d’autre système. Nourris