Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tage très réel d’arriver le dernier, c’est une lucidité sereine, une parfaite simplicité, et je ne sais quelle émotion contenue, pleine de sympathie et de reconnaissance, sans le moindre lyrisme, sans enthousiasme exagéré. Hommage vraiment digne de la modeste héroïne ! Il nous la montre sous son vrai jour, avec sa vraie physionomie, sa foi ferme et naïve et son grand caractère. Personnage hors de pair, unique dans notre histoire comme dans l’histoire de tous les peuples, et qui même aujourd’hui, après l’excès de nos récens désastres, nous porte cette consolation de pouvoir espérer sans un trop grand orgueil que le salut de notre France n’est pas indifférent à Dieu !

À côté de ce charmant et glorieux portrait, il en est un qui lui succède et qui n’est, en son genre, ni moins vrai, ni moins instructif. C’est de Louis XI qu’il s’agit. M. Guizot se complaît à peindre cette figure dans les moindres détails et sous tous les aspects, en même temps que l’ensemble des grands traits qui la caractérisent. Ce qu’il y a de piquant à mettre en regard ces deux portraits, c’est que les deux modèles, la sainte et le roué, poursuivent au fond le même but, obéissent au même devoir et s’y dévouent avec la même passion. Affranchir le sol de la patrie, en expulser jusqu’à l’ombre du dernier Anglais, assurer le triomphe de l’indépendance et de la royauté nationale, voilà pour le sombre habitant du Plessis-les-Tours, comme pour la martyre de Rouen, le premier et le suprême but. Quant à lui, dans ses vingt-deux années de règne, il en devait poursuivre encore un autre avec une opiniâtreté presque égale, l’agglomération successive de provinces françaises, que la féodalité détenait encore et qu’il lui arracha peu à peu, sans bruit, non sans efforts, et, il faut bien le dire, n’importe par quels moyens. Il avait repris, avec moins de scrupule, l’œuvre de Louis le Gros et de Philippe-Auguste, La Provence, le Roussillon, la Franche-Comté, l’Artois, le Barrois et partie de la Bourgogne firent ainsi successivement retour à la couronne, ce qui avançait singulièrement l’œuvre capétienne, l’œuvre monarchique et nationale par excellence. Et, comme le persévérant monarque ne pouvait dépouiller ses grands vassaux sans s’appuyer sur le petit peuple ou tout au moins sur la bourgeoisie, il s’ensuit qu’en modifiant sans cesse, en élargissant nos frontières, il modifiait du même coup, il élargissait nos idées, donnant ainsi à l’esprit moderne, dans la bonne acception du mot, le plus efficace concours qu’il eût encore reçu, — si bien que, somme toute, cet égoïste, ce rusé, ce superstitieux, ce fourbe, ce cruel n’en est pas moins un roi, un vrai roi, comme l’a dit un de ses historiens du dernier siècle, Duclos, et comme M. Guizot le répète tout en flétrissant ses maximes, ses vices et ses cruautés.

Ainsi voilà la France, grâce à Jeanne d’Arc et à Louis XI, grâce à l’assistance combinée du bien, du mal, de l’innocence et de l’astuce, voilà la France affranchie, agrandie, fortifiée ; le but principal semble atteint.