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nécessité de rester dans le vrai. Ses batailles n’ont pas le quart tant de variété que celles de M. Carlyle, et cependant il n’est qu’à trente années des événemens, et aucun document officiel ou privé ne lui a manqué.

Au reste l’auteur s’élève rarement jusqu’à l’éloquence; il préfère l’usage de la plaisanterie, et quand il s’anime, ce qui est fréquent, c’est par une sorte d’entrain familier qui est dans sa nature. La bataille de Leuthen en peut fournir l’échantillon : ce fait d’armes, le plus beau de Frédéric, est désigné le plus souvent sous le nom de Lissa, et M. Carlyle aurait dû l’indiquer pour écarter les confusions. Comme toujours, l’auteur se met lui-même de la partie, et nous en met aussi. « Nous sommes ici, les Autrichiens là... Nous allons essayer une bonne fois de l’ordre oblique;... jusqu’ici nous l’avions tenté à trois ou quatre reprises, jamais pleinement... L’ordre oblique remonte à Épaminondas, d’autres disent à César, etc. » Le récit des mouvemens commence; le roi entend les soldats d’une colonne entonner, avec l’accompagnement de la musique, une strophe d’un psaume allemand. « Cela est contraire à la discipline; votre majesté veut-elle qu’on les fasse taire? — Pas du tout. » Bonne preuve, dit l’auteur, de cette religion ne passant pas dans les paroles ou passant au-delà, ou bien y passant de travers! L’historien s’arrête avec l’état-major du roi sur un point d’où la vue s’étend au large; il nous montre le pays. Vous voyez cette montagne au sud, cette campagne ouverte de tous les autres côtés, des champs cultivés, un terrain sablonneux, le clocher de Leuthen à moitié dérobé par un pli de terrain. Suit le récit d’un touriste qui est monté sur ce clocher et n’a rien vu : on devine que le touriste est l’historien même. Le prince Charles de Lorraine et Daun, le général autrichien, sont là; ils ne voient pas les Prussiens, et se figurent que ceux-ci fuient par quelque autre chemin. On a beau les prévenir; tush! (bah !] répondent-ils. Cependant les Prussiens exécutent leur manœuvre : là-dessus l’historien demande aux lecteurs s’ils veulent tâter encore un peu de l’ordre oblique, a touch more; il va pour leur plaisir faire le sergent instructeur, drill-sergeant. « Vous marchez en échelon,... le premier bataillon s’avance, etc.. » Nous ne sommes ni sergent instructeur ni feld-maréchal, et M. Carlyle seul a cette confiance heureuse qui ne craint jamais d’abuser. Contentons-nous d’ajouter que la bataille s’engage autour du village de Leuthen, et que les Autrichiens sont détruits, ayant essayé trois fois de rétablir le combat. Après la victoire, nous avons un dialogue entre le roi et un aubergiste; ils causent, chemin faisant, durant une reconnaissance de nuit : l’entretien, tiré d’un recueil d’anecdotes, ne mène pas à grand’ chose, si ce n’est qu’on en-