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moins honorable : le plaisir à outrance, l’agio, le jeu effréné, la prostitution sans retenue, tous les affolemens d’une société corrompue qui avait eu si peur de mourir qu’elle ne se préoccupait plus que de jouir quand même. Plus encore que la régence et que le règne de Louis XV, le directoire fut le beau temps des usuriers et des préteurs sur gage. Nul mystère; sur les murs, en gros caractères, on affiche le nom des maisons de prêt: — Lombard Augustin, Lombard Serilly, Lombard Lussan, Lombard Feydeau, caisse auxiliaire du quai Malaquais. « Les lanternes qui les annoncent, dit un écrivain du temps, suffisent pour éclairer la voie publique. » Par l’intérêt qu’ils offrent aux prêteurs qu’ils sollicitent, on peut juger de l’intérêt qu’ils exigent des emprunteurs. Le n° 19 i des Petites affiches publie le 14 messidor an VIII l’avis suivant : « une maison de prêt offre de prendre des fonds à 5 pour 100 par mois. » C’est une sorte de jeu qui fait concurrence aux tables de trente-et-quarante, de creps, de roulette établies partout; aussi dans le langage des usuriers l’emprunteur s’appelle un ponte. Quant à la sécurité qu’on pouvait trouver dans de pareilles cavernes, on peut l’apprécier. Les prêteurs, lorsqu’ils avaient besoin d’argent, engageaient pour leur propre compte les objets qu’ils avaient reçus en nantissement. Tout le monde s’en mêlait, et les anciens huissiers commissaires-priseurs exploitaient le Lombard Serilly, qui était situé rue Vieille-du-Temple. — Le Lombard Foulon, rue des Fossés-du-Temple, n° 1, annonce qu’il prête sur les sucres, les eaux-de-vie et les vins; il ajoute : « On traite de gré à gré pour les prêts conséquens[1]. » Les représentans de la caisse auxiliaire des Lombards Lussan et Serilly, demandant à leur profit un privilège qui les rendît maîtres du prêt sur gage à Paris, disent en parlant des maisons rivales auxquelles ils cherchent à se substituer : « On a vu l’intérêt monter dans plusieurs endroits jusqu’à 6 francs par louis, c’est-à-dire un quart par mois, soit 300 pour 100 par année. » Il était grand temps d’en finir avec de tels excès.

On avait essayé, mais sans y réussir. Dans plus d’une circonstance et à diverses époques, on avait soutenu la mont-de-piété, on en avait modifié l’organisation, il avait semblé reprendre; mais l’insuffisance des capitaux mis à sa disposition paralysait tous les efforts et laissait toute facilité d’exploitation aux préteurs sur gage; en l’an VIII cependant les engagemens dépassent 220,000 articles. Le Bureau des améliorations adresse le 8 thermidor de la même année au conseil-général du département un rapport sur la néces-

  1. Voyez A. Blaize, Des Monts-de-Piété et des Banques de prêts, t. Ier, p. 186 et passim.