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cieux de sa beauté plastique vient mettre « au clou » de temps en temps.

Les magasins qui renferment les objets divers sont superposés dans trois étages. Là sont les paquets, fort encombrans et exigeant un emplacement considérable; on a tiré parti de tous les recoins, on s’est adjoint une maison voisine, on a percé les gros murs, et tant bien que mal on communique par des escaliers biscornus. Cela sent l’eau de Javelle, odeur gardée par le linge, qui entre pour deux tiers dans la composition de ces nantissemens uniformément revêtus d’une serviette ou d’un mouchoir, sorte de linceul dont ces épaves sont enveloppées et sur lequel le bulletin est attaché. Il y a là des caisses, des malles, des tas de livres rassemblés dans du gros papier d’emballage, des parapluies appendus aux murailles, des boîtes à violons, des étuis d’où s’échappe la gueule de cuivre d’un ophicléide. Au dernier étage, sous les combles, dans des chambres construites en brisis et éclairées par des fenêtres à tabatière, voilà les matelas roulés, les lits de plume, les oreillers couverts d’une forte taie en gros coutil blanc et bleu. Parfois une seule personne apporte d’un seul coup dix, douze matelas et plus; c’est un maître de pension qui n’a pas d’élèves, c’est un propriétaire de maison garnie qui n’a pas de locataires. Les matelas ne sont pas très nombreux au chef-lieu, en revanche il y en a beaucoup dans les magasins de la succursale de la rue Servan, auprès de la Petite-Roquette; lorsque je les ai visités, on en pouvait compter 8,800.

Cette succursale a été bâtie exprès, elle est donc appropriée aux services qu’elle doit satisfaire; les magasins sont d’une ampleur très bien calculée, et ils sont assez vastes pour centraliser tous les meubles qu’on engage au mont-de-piété. D’immenses salles, fer et brique, défiant le feu, semblent être le dépôt des ébénistes du faubourg Saint-Antoine : meubles simples et sculptés, armoires à glace, pianos de toute provenance, crédences, commodes et buffets, vide-poches, bonheurs du jour, fauteuils, lits, canapés et tabourets, sont symétriquement rangés les uns à côté des autres, et craquent tout seuls de temps en temps pour prouver qu’ils sont plus neufs qu’ils n’en ont l’air. Au rez-de-chaussée, de grands hangars ouverts au niveau du sol avaient été réservés pour les voitures; on y a bien vite renoncé, l’encombrement y devint immédiatement excessif, au point de neutraliser le service. Là sont les instrumens en métal que le poids rend difficiles à manier; j’y ai vu des baignoires, des alambics, des appareils de confiserie, des chaudières, une masse de machines à coudre, et surtout une quantité extraordinaire d’étaux. La première impression produite par la vue de ces indispensables instrumens de travail est fort pénible : on pense involontairement à l’ouvrier réduit par le chômage et la misère à en-