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gager son gagne-pain ; l’impression est erronée. Un patron serrurier occupe chez lui sept ou huit ouvriers ; s’il n’a pas d’ouvrage à leur donner, il les renvoie, et dépose leurs étaux au mont-de-piété jusqu’à ce qu’il ait remis son atelier sur le pied normal. Dans un coin, j’ai avisé un objet étrange : je me suis approché et j’ai reconnu une jambe en bronze ; elle appartient à une statue qui n’est point encore terminée. Il existe des héros qui ont passé membre à membre dans les magasins du mont-de-piété avant d’avoir été dressés sur un piédestal au milieu d’une de nos places publiques.

On a fait un calcul moyen : en temps ordinaire, les objets restent sept mois et demi dans les magasins ; alors ils sont dégagés et restitués à qui de droit. Les formalités du dégagement sont aussi d’une simplicité extrême. Le public se présente dans une salle divisée en plusieurs guichets, derrière chacun desquels se tiennent deux employés. La reconnaissance est reçue par un agent du contrôle qui évalue l’intérêt par quinzaines, sauf pour le premier mois, qui est toujours acquis, à 6 pour 100 par an ; il y ajoute 3 pour 100 de droits de garde et de manutention, le 1/2 pour 100 dû au commissaire appréciateur pour sa prisée, il additionne ces différentes sommes avec celle qui a été prêtée, fait le total, et inscrit sur la reconnaissance un numéro d’ordre qui équivaut à un acquis ; puis il passe le papier ainsi chiffré à son vis-à-vis, qui est un employé de la caisse chargé de vérifier le compte et de toucher l’argent du dégagiste, en échange duquel il remet à celui-ci une fiche portant un numéro rouge ou noir, selon que l’objet réclamé doit être délivré au premier ou au second étage. Muni de ce petit bulletin, qui maintenant représente le gage lui-même, le créancier du mont-de-piété monte à ce qu’on appelle, par un gros barbarisme, la salle de rendition. C’est une vaste pièce, garnie de bancs en bois, surveillée par un garde municipal et fort peuplée.

La reconnaissance est envoyée au magasin désigné par le nantissement lui-même. L’article recherché, trouvé, est remis à un contrôleur ; celui-ci s’assure que le bulletin adhérent est conforme, comme numéro d’ordre et comme désignation, au numéro et à la désignation de la reconnaissance, qu’il paraphe. Ensuite la boîte est enveloppée dans la reconnaissance et expédiée au garçon rendeur, qui est debout derrière un large guichet et devant une table sur laquelle on dépose les objets, dans un panier si ce sont des bijoux, en tas si ce sont des paquets. À l’appel successif des numéros, le porteur de la fiche indiquée s’approche ; devant lui, le garçon constate que le cachet est intact, il vérifie la désignation, ouvre la boîte, compte les articles, et, après les avoir rendus, prend un timbre qui lui est spécialement attribué, et en frappe ou, pour mieux dire, en signe la reconnaissance. Entre l’instant où le caissier a reçu l’ar-