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raient plus de 40 pour 100 les avances dont ils peuvent avoir besoin. Cette clientèle est tellement nombreuse qu’elle suffirait pour alimenter le mont-de-piété, de même que le mont-de-piété suffit à ses nécessités de production. Aussi, lorsque les affaires s’arrêtent, le mont-de-piété est immédiatement paralysé, et n’est plus qu’un garde-magasin.

Une autre partie de sa clientèle ordinaire, — bien moins importante, — est formée de ce que j’appellerai les gens de plaisir, femmes galantes, joueurs, étudians, ouvriers débauchés qui vont chez ma tante, c’est là le mot familier, afin d’avoir de l’argent qui permette aux uns d’aller au théâtre, aux autres de ressaisir les cartes et la veine, aux troisièmes d’ajourner l’heure des examens, aux derniers enfin de prolonger le « lundi » pendant toute la semaine. Les dégagemens de ces emprunteurs se font très irrégulièrement pour les filles et les joueurs, qui attendent toujours la bonne aubaine; pour les étudians, c’est au retour des vacances; pour les ouvriers, c’est le dimanche matin qui suit le samedi de quinzaine où l’atelier a reçu sa paie. En général, des engagemens assez importans sont opérés par les joueurs, qui, pour faire face à ce qu’on nomme une « dette d’honneur, » ne se font pas faute de mettre la main sur les diamans de leur femme ou d’une de leurs relations. Parfois ces sortes d’affaires vont plus loin qu’on n’imagine et menacent d’avoir un dénoûment désagréable. Un homme du monde, un étranger perd une somme considérable au jeu; il n’a pas d’argent, il prend les diamans de sa sœur, qui y consent, et les engage au mont-de-piété. Il acquitte sa dette, veut prendre sa revanche, perd encore, et, ne sachant plus de quel bois faire flèche, vend la reconnaissance à un courtier de bas étage, qui opère le dégagement sans tarder et se défait immédiatement des parures au profit d’un jeune homme qui va se marier. Le mont-de-piété est désintéressé dans la question, ses opérations ont été d’une régularité irréprochable; mais la sœur réclame ses diamans, mais le joueur, qui a fait une martingale heureuse, veut les racheter, et on ne sait où ils sont. A grand’peine on les retrouve chez un joaillier célèbre, qui avait brisé les montures pour les disposer au goût du dernier acheteur. Heureusement cet acheteur et le joueur étaient gens de même monde et se connaissaient fort bien; l’affaire s’est arrangée à l’amiable entre eux, sans cela la justice aurait pu y regarder de près et demander à l’un des intéressés en vertu de quel droit il avait vendu la reconnaissance d’un nantissement qui ne lui appartenait pas.

L’indigence vient bien peu au mont-de-piété; je l’y ai attentivement cherchée, et je ne crois pas l’avoir aperçue. Un fait le prouvera et renversera sans doute bien des idées acceptées a priori,