Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gagemens gratuits on remettait directement l’argent aux porteurs de reconnaissances, il est fort probable que nul de ceux-ci ne se présenterait au mont-de-piété.

Il est un autre genre de clientèle, fort heureusement minime et tout spécialement surveillée, qui cherche à tirer du mont-de-piété des bénéfices illicites ou qui le prend volontiers pour une maison de recel, et dont il faut bien parler : ce sont certaines espèces de voleurs. La justice et la préfecture de police ont des rapports fréquens avec le mont-de-piété ; quand un vol est dénoncé, la désignation de l’objet disparu est envoyée à l’administration, qui fait faire dans ses magasins, sur ses registres d’engagemens, des recherches qui aboutissent quelquefois. Ceux qui s’adressent au mont-de-piété sont des voleurs naïfs ou des voleurs spéciaux, car la plupart des malfaiteurs ont leurs receleurs et des brocanteurs attitrés.

Les bureaux du mont-de-piété ont parfois aidé à découvrir des faits étranges dont les auteurs étaient dans une telle situation sociale qu’il était très difficile de les accuser. Il y a une quinzaine d’années environ, avant le décret impérial qui limitait le maximum des prêts à 10,000 francs, une femme titrée, appartenant par ses alliances aux plus illustres familles de France, engagea d’un seul coup des parures neuves pour une somme qui dépassait 50,000 francs. On fut fort surpris au mont-de-piété de recevoir de la préfecture de police une demande de recherches, et l’on ne comprit guère qu’une personne de si haute condition pût être impliquée dans une affaire de vol. Rien n’était plus vrai cependant. Usant de son nom, qui devait inspirer toute confiance, elle avait acheté des diamans à crédit et les avait immédiatement engagés. Les joailliers, fatigués d’attendre l’argent qui leur était dû, avaient fini par soupçonner la vérité. Ils prièrent la préfecture de police de faire une enquête qui eut le succès que l’on voit. Nul doute n’était possible. On ne peut imaginer la qualité des personnages qui intervinrent dans cette affaire pour l’étouffer. C’était difficile : la dame n’avait plus l’argent, qu’elle avait promptement dépensé, la famille refusait absolument de payer ; les joailliers réclamaient le prix convenu ou les diamans ; le mont-de-piété ne pouvait se dessaisir du gage, qui représentait un prêt considérable. On était loin de s’entendre, et la justice allait peut-être se mêler à ce débat trop, clair, lorsque l’affaire fut arrêtée comme par enchantement. Le préfet de police avait parlé de cette histoire à l’empereur, qui ordonna de prendre sur sa cassette de quoi dégager les parures et de les rendre aux joailliers. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que l’empereur, abusé par une similitude de nom, crut sauver une femme dont le mari faisait à son gouvernement une vive opposition.