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saient de s’échapper, ils sont massacrés par la populace. Hassan-Pacha avait promis de traiter les marins sardes comme ses hôtes. « Son hospitalité, écrivait M. David transporté d’indignation, presque fou de douleur, a été l’hospitalité de Polyphème. » Les Grecs dont la tentative d’évasion avait été la cause première de ce drame sinistre ne pouvaient, quand les Européens étaient ainsi frappés, espérer de la pitié des Turcs un sort moins rigoureux. Le pacha les fit égorger dans les journées du 27 et du 28 juillet. Ces infortunés reçurent du moins la sépulture ; les Européens avaient eu l’horrible distinction d’être livrés aux Juifs et jetés comme des chiens dans les flots.

Cette dernière infamie fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. À dater de ce jour, les agens européens comprirent qu’il n’y avait plus, avec des autorités aussi faibles que perfides, de ménagemens diplomatiques à garder. L’appareil de la force pouvait seul contenir les passions de la foule, intimider le mauvais vouloir des vizirs, rendre la sécurité et la paix à une ville où depuis trois mois régnait la terreur. Le 28 juillet à midi, la frégate la Guerrière, portant le pavillon du contre-amiral Halgan, venait jeter l’ancre devant les quais de Smyrne. Les gens du château avaient voulu l’arrêter par des démonstrations hostiles ; « l’amiral leur montra le pavillon du roi, leur cria France ! et passa outre. » Le 2 août, sept bâtimens français étaient réunis sur rade. Quels que fussent désormais les embarras de l’empire du sultan, les succès des troupes grecques en Morée, les triomphes obtenus par les flottes hydriotes ou par les brûlots d’Ipsara, les Francs de Smyrne pouvaient dormir tranquilles ; ils n’auraient plus à payer de leur sang les échecs infligés aux armes ottomanes.

III.

Les troubles de Smyrne étaient un symptôme dont un observateur intelligent ne pouvait manquer de tenir compte. Les Turcs avaient été surpris par les insurgés ; mais il eût été puéril de s’imaginer qu’ils allaient souscrire à l’indépendance de la Grèce avant d’avoir mis toutes leurs ressources en œuvre et d’avoir tenté les plus grands efforts pour triompher de la rébellion. Le reptile engourdi qu’on approche d’un foyer ardent ne tarde pas à recouvrer ses forces et à dérouler ses anneaux. L’indignation avait rendu aux Turcs toute l’âpreté native des premiers Osmanlis ; c’était donc une lutte à outrance qui allait s’engager entre la Turquie et la Grèce.

Exaltés par leurs premiers succès, aspirant de tous leurs poumons le grand air de la liberté, les insurgés du Magne et du Pélo-