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ponèse avaient fait annoncer aux puissances chrétiennes, par l’organe de leur chef, le bey Petro Mavro-Michali, que, dût le secours de l’Europe leur faire faute, dût la fortune inconstante les trahir, « ils ne retourneraient jamais sous le joug du sultan. » Ce serment a été tenu, mais on sait à quel prix ! L’histoire n’a pas d’exemple d’aussi durs sacrifices, d’épreuves aussi cruelles, d’une persévérance aussi longue. Ce qui a valu aux Grecs l’intérêt de tous les nobles cœurs, la sympathie de toute âme généreuse, ce n’est pas seulement la justice de leur cause, c’est la ténacité qu’ils ont mise à la soutenir. Pour combattre et pour se détruire, les hommes, au temps où nous vivons, ont besoin de deux choses : d’une organisation qui leur permette de combiner leurs efforts, et de capitaux qui leur fournissent les moyens de les prolonger. Si l’argent a été appelé le nerf de la guerre, c’est bien moins parce qu’il faut de l’argent pour se procurer des armes que parce que sans argent on ne saurait retenir longtemps rassemblées sous les drapeaux ces masses humaines enlevées à l’atelier ou à la charrue, qui ne tirent plus du sol, mais attendent d’une administration prévoyante leur subsistance. Tout l’enthousiasme du monde ne saurait suppléer le pain quotidien. C’est là un point qu’il importe de ne pas perdre de vue, si l’on ne veut juger trop sévèrement les défaillances apparentes des insurgés, la dispersion subite de leurs armées et de leurs flottes, leurs alternatives de succès et de revers. L’organisation de la Turquie était arriérée ; son système financier était détestable ; la Grèce, elle, n’avait ni organisation ni finances.

Si rapide qu’eût été le déclin de l’empire, les forces que le sultan pouvait rassembler contre l’insurrection ne laissaient pas d’être encore excessivement redoutables pour une population sans crédit, sans réserve métallique, n’ayant d’autre lien que sa religion et sa langue, dispersée sur deux continens et dans deux archipels, déshabituée enfin par un long esclavage du métier des armes. La Turquie barbare de 1821 n’avait pas les ressources et les moyens d’action de la Turquie à demi civilisée de 1854 ; elle en avait d’autres, dont il faut cependant tenir compte, et qu’un exposé très sommaire fera suffisamment apprécier.

La perception des impôts, — il semble presque inutile de le rappeler, tant la chose est connue et presque proverbiale, — donnait lieu en Turquie à une foule d’abus. Jamais les agens du fisc ne trouvèrent plus nombreuses et plus faciles occasions de fraudes ; mais l’abus financier le plus grave était celui dont le gouvernement lui-même n’hésitait pas à se rendre coupable. Chaque fois que quelque nécessité politique le prenait à l’improviste, le grand-seigneur, pour sortir d’embarras, employait un de ces expédiens honteux familiers aux souverains d’autrefois, mais qu’aurait répudiés au