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la frontière vers la fin du mois d’août, s’il lui restait deux ou trois mois pour combattre, le sultan pouvait être satisfait du zèle déployé par ses timariotes et se dire que les circonstances l’avaient bien servi.

L’organisation militaire de la Turquie n’en resta pas moins jusqu’à la fin du XVIIIe siècle un objet d’admiration pour tout ce qui s’occupait de guerre en Europe. Cent ans plus tard, l’impression était différente. Ces cent années, les Turcs les avaient employées comme Épiménide, ils s’étaient endormis, et qui n’avance pas aujourd’hui rétrograde. Les soldats de l’archiduc Charles, aux prises avec les soldats de Moreau dans la Forêt-Noire, ne nous rappellent guère les cuirassiers de Pappenheim chargeant à Lutzen les gendarmes de Gustave-Adolphe. Il semble au contraire que ce soit de l’armée campée en 1821 sous les murs de Janina qu’il s’agisse, quand on nous parle en 1637 « de ces gens de cheval, les spahis, qui portent la lance, la masse d’armes et le cimeterre, » ou de « ces troupes combattant à pied, armées de mousquets et d’arquebuses incrustées de nacre, » qui se bornent à tirer « le coup du logis, » et immédiatement après « mettent le sabre à la main. » Cette organisation, fort insuffisante pour se mesurer avec des troupes russes ou avec des troupes allemandes, était cependant, il faut bien le reconnaître, mieux appropriée à une guerre dans laquelle on ne devait rencontrer que des bergers, des klephtes ou des armatoles.

La discipline avait faibli sans doute en Turquie. La discipline ne se soutient dans les armées que par l’habitude de la victoire. Cependant si les grands-vizirs de 1668 et de 1715 avaient été soudain rappelés à la vie, ils auraient encore reconnu leurs troupes. Le soldat turc était toujours sobre, ne mangeant que du biscuit et des oignons, ne buvant que de l’eau. Les janissaires, au nombre de 110,000 environ, n’auraient peut-être plus escaladé avec la même audace les murs de l’Acro-Corinthe ; mais les Albanais, les Bosniaques, les Croates, étaient toujours les vaillans soldats qu’on avait vus, au XVIIe siècle, inspirant l’admiration « aux vieux gendarmes wallons habitués depuis trente ans aux guerres de Hongrie et des Pays-Bas. » Les chevaux se contentaient de l’herbe qu’ils trouvaient à paître et d’un peu d’orge qu’on leur donnait de deux jours l’un. Les bagages n’avaient pas cessé d’encombrer les routes et de ralentir les mouvemens de l’armée. On comptait encore en 1821, comme en 1637, un cheval de bât pour 10 hommes, un chameau pour 20, destiné à porter les tentes. Les chrétiens étonnés avaient vu jadis en Hongrie, en Pologne et jusque sous les murs de Vienne, des camps de soixante mille tentes, des camps semblables à des villes, avec leurs rues tracées au cordeau ; ils auraient