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qui, façonné à l’obéissance par un terrible joug, avait reculé les bornes de l’abnégation et de la souffrance.

Le comte d’Eu, marié à la princesse impériale du Brésil, avait mené énergiquement la fin de la guerre. Son retour à Rio, le 29 avril, fut un triomphe. Cependant la victoire coûtait cher. Lorsque, cinq années auparavant, les alliés rêvaient une simple promenade militaire, ils ne se doutaient guère qu’ils allaient faire disparaître toute une génération, qu’ils épuiseraient presque tout le trésor de quatre états. Un pays tout entier ravagé, dépeuplé, pour ne pas dire anéanti, 160,000 hommes engloutis dans la lutte, 1,800 millions payés en or par le Brésil, tel était, disait-on, le bilan de cette guerre, si lourde pour les vaincus, si lourde aussi pour les vainqueurs. Quels en seraient les résultats? C’est ce qu’on se demandait avec anxiété à Rio-Janeiro, comme à Montevideo et à Buenos-Ayres. Le Brésil, qui avait supporté presque toutes les charges de la guerre, entendait recueillir le fruit de ses gigantesques efforts. De leur côté, la république argentine et la république de l’Uruguay ne contemplaient pas sans une certaine inquiétude la force de leur puissant voisin, et, comme il arrive très souvent au sein des coalitions triomphantes, les jalousies se glissaient au milieu des vainqueurs. Les alarmistes avaient peur que le Brésil ne devînt le maître absolu du cours des fleuves, et, frappés par le triste spectacle qu’offrait le peuple vaincu. Argentins et Orientaux mettaient simultanément une sourdine à leurs hymnes de triomphe.

Sur ces entrefaites, les Brésiliens prenaient au Paraguay une très forte position. Disposant de tout le numéraire de cette république, et conservant dans les eaux du Paraguay supérieur plusieurs cuirassés, ainsi que quelques bâtimens de petite dimension, ils accumulaient de nombreux approvisionnemens à Corumba et à Cuyaba, occupaient l’Assomption, et se fortifiaient à Humaïta, qui est la clé du pays. Un gouvernement provisoire y avait été installé; puis on dotait le pays d’une constitution dans le genre de celle des États-Unis, avec un président de la république, un vice-président, une chambre haute, une chambre basse. Le Paraguay passait ainsi sans transition du système le plus absolu au régime, tout nouveau pour lui, des institutions parlementaires. Le gouvernement argentin ne paraissait point avoir montré un grand empressement pour la constitution d’un gouvernement national à l’Assomption, et il aurait désiré que le Paraguay fût administré par une délégation des alliés. Les négociations entre Rio et Buenos-Ayres traînaient en longueur. La ville de l’Assomption avait été occupée au commencement de l’année 1869, et ce n’est que le 20 juin 1870 que les préliminaires de paix étaient arrêtés.