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entre la consommation et la production, le travail continue et avec lui le progrès de la richesse publique. Il n’y a que les impôts sur les objets de première nécessité qui présentent cet avantage, car personne n’y échappe. Au contraire, si on atteint les objets de luxe, l’impôt ne s’applique plus à tout le monde, il faut le porter à un chiffre assez élevé pour lui faire rendre des sommes qui en vaillent la peine, il est très onéreux, et, comme il pèse après tout sur des choses dont on peut se passer, la consommation s’arrête, l’impôt ne donne pas ce qu’on avait espéré, et le travail diminue.

On a bientôt fait de dire qu’on doit exempter les choses de première nécessité et imposer les consommations de luxe; il faut savoir encore à quels résultats on arrive avec cette substitution. Supposez pour un moment qu’on supprime les 318 millions que d’après le budget de 1872 doivent rapporter les boissons, les 38 millions du sel, les 170 millions du sucre, car le sucre devient de plus en plus une denrée de première nécessité, et qu’on reporte le produit de toutes ces taxes, soit 526 millions, sur les consommations de luxe, sur le thé, le café, les chevaux, les voitures, les habillemens et tentures de soie, les domestiques en livrées, etc., sur toutes les choses par lesquelles se manifeste la richesse, croit-on que l’on pourrait trouver là une compensation? Pour être convaincu du contraire, il faut savoir que l’impôt sur les voitures, tel qu’il existe aujourd’hui, et il est assez lourd pour ceux qui ont à le payer, est porté au budget de 1873 pour 6 millions. Les taxes des billards et des cercles réunies ne fourniront pas 2 millions. Les pianos, si on les avait imposés, comme on l’a voulu, n’auraient pas donné plus de 4 millions. C’est donc une grande illusion de croire qu’on peut se procurer des revenus importans sans imposer les choses de première nécessité. Il n’y a que là qu’on peut les trouver. Un centime par jour payé au fisc par 36 millions d’habitans, ou 3 francs 65 cent. par an, donne 130 millions de francs. Pour obtenir la même somme de 100,000 individus sur une consommation de luxe, il faudrait demander à chacun 1,300 francs, et si l’on voulait avoir les 526 millions destinés à remplacer les taxes sur les boissons, le sel et le sucre, le supplément à payer par personne serait de 5,260 francs. Il suffit de poser ces chiffres pour montrer à quelles conséquences on aboutirait. Dernièrement en France on avait eu l’idée d’organiser une souscription pour la libération du territoire : les riches étaient disposés à y concourir très largement; mais, comme on supposait à tort ou à raison que les masses n’y prendraient pas part, on a dû y renoncer, — on aurait imposé des sacrifices considérables à quelques personnes sans arriver à des résultats sérieux. Pour qu’une administration fiscale soit bien organisée, il faut qu’elle ait ses racines jus-