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core favorisée par les voies de communication rapides, par les transports plus économiques. Le marchand peut s’approvisionner directement en fabrique, et le consommateur acheter où il veut. En résulte-t-il que ces grands établissemens soient à l’état de monopole, et que sur les ruines du petit commerce ils puissent rançonner le public à leur gré? Pas le moins du monde : personne aujourd’hui n’a les forces nécessaires pour créer des monopoles. Le gouvernement seul le peut, étant armé par la loi. Si un individu n’est pas assez riche pour organiser à lui seul une grande maison de commerce, il s’associe avec d’autres et en trouve bien vite les moyens, l’opération se fera même par actions, et on verra de très petits particuliers avoir un intérêt dans un grand établissement industriel. Par conséquent le monopole ne peut pas exister, et c’est là le triomphe de la démocratie; en même temps qu’elle a supprimé les anciens privilèges de naissance, elle a mis obstacle à ce qu’il s’en reconstituât de nouveaux par le fait de la richesse. Elle a entre les mains le levier le plus puissant pour les empêcher, celui de l’association. On peut à certains points de vue gémir sur la disparition de la petite industrie, et regretter l’organisation de ces immenses fabriques ou de ces grands caravansérails où l’homme n’est plus qu’un commis, sans presque d’initiative; mais les choses sont ainsi, et on supprimerait demain les impôts indirects que le petit commerce n’aurait pas pour cela de meilleures destinées.

Reste l’argument que les impôts produisent un renchérissement supérieur à la somme qu’ils rapportent. On suppose que, si une marchandise est frappée de 100 millions d’impôts par exemple, les fabricans ou négocians qui auront avancé cette somme voudront non-seulement la faire entrer dans leur prix de vente, ce qui est naturel, mais prélever encore un certain bénéfice sur leur avance; ils ajouteront donc ce bénéfice au prix de la marchandise, et celle-ci se trouvera renchérie dans son ensemble des 100 millions de l’impôt, peut-être même de 110, si le bénéfice est de 10 pour 100. Nous ne contestons pas la valeur de l’argument. Il est sûr que tous les capitaux employés dans une industrie doivent rapporter un intérêt, et que les 100 millions de l’impôt ne peuvent pas être avancés gratuitement par les fabricans ou négocians; mais dans la pratique on ne s’en apercevra guère, c’est à peine si le bénéfice supplémentaire du marchand exercera une influence quelconque sur le prix des choses; d’ailleurs on ne l’éviterait pas par un autre moyen. Admettons pour un moment que l’impôt indirect soit remplacé par une taxe sur le revenu, frappant les profits du commerce comme les autres, bien entendu; si les commerçans paient 100 millions sous cette forme au lieu de les payer par la taxe indirecte, croit-on