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goélette chargée de coton que l’on attendait de Tlacotalpam. En prenant cette voie, je pouvais gagner Vera-Cruz en moins de quarante-huit heures, arriver à temps pour expédier mes précieux mollusques par le paquebot mensuel. N’était-ce pas exposer de gaîté de cœur ce trésor à de réels dangers que de le promener à travers les plaines? La jeune femme me priait; je me laissai convaincre pour ne pas l’affliger, ni paraître ingrat.

J’allais oublier de noter que ce fut le 21 novembre 1855, à six heures quarante-deux minutes du soir, que le petit Juan découvrit l’aspergillum johanneum.


II.

Le 3 décembre au matin apparut l’Hirondelle, jolie goélette effilée, aux mâts penchés en arrière, et commandée par le capitaine Sébastian. Sébastian, homme de couleur, n’était ni un loup de mer, ni un savant : il se vantait même volontiers de n’avoir jamais fréquenté l’école; mais il connaissait jusqu’au moindre repli de la côte qui s’étend d’Alvarado à Vera-Cruz, et l’on s’embarquait de préférence avec lui. Le 4, vers midi, don Salustio, sa femme et ses enfans s’établirent sur la dunette du petit bâtiment. Vers deux heures, une jeune femme accosta la goélette. Doña Esteva, avec laquelle je causais en ce moment, regardait avec persistance la nouvelle venue, qui, au lieu de s’avancer pour saluer sa compagne de voyage, — il n’y a qu’une classe à bord des navires mexicains, — alla s’asseoir près du grand mât. Les deux enfans s’étant approchés de l’étrangère, qui prit Lola sur ses genoux, doña Esteva les appela impérieusement, et leur défendit avec sévérité de s’éloigner; elle les emmena même dans la cabine que don Salustio aménageait pour la nuit.

Les voiles tombèrent, une brise favorable les gonfla, et le léger navire vogua vers la passe, que les foraminifères rendent chaque jour plus étroite, et qu’ils finiront par combler. Je me tins sur la dunette, embrassant d’un dernier regard le panorama que j’avais admiré autrefois, que je ne reverrais peut-être jamais. Le Papaloapam et le Rio-Blanco, confondant leurs eaux, formaient une vaste baie bordée d’une épaisse verdure. A gauche, rendues bleuâtres par l’éloignement, les montagnes de la sierra de San-Andrès; à droite, d’énormes collines de sable, au-dessus desquelles tourbillonnaient des vautours en quête d’une proie. Au milieu de l’immense bassin, une bande de marsouins prenaient leurs ébats, et semblaient divertir par leurs bonds une douzaine de pélicans dont