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— Marche au nord et suis le vent ! disait parfois le matelot de quart à celui de ses compagnons qui tenait le gouvernail.

La roue tournait avec bruit, les voiles se gonflaient, et, comme un cheval qui sent l’éperon, le petit navire s’élançait en avant avec une rapidité qui justifiait son nom.

Un peu avant minuit, Sébastian se réveilla. Il courut à la proue, regarda longtemps l’horizon, et revint en secouant la tête. — Monte jusqu’à la grande vergue, dit-il à un matelot, et préviens-moi, si tu vois un feu. — Puis il demanda cet objet de luxe qui, à bord des bâtimens côtiers mexicains, n’apparaît que dans les circonstances exceptionnelles, la boussole. On ouvrit la boîte. — Vera-Cruz est là, dit don Sébastian en étendant le bras, lorsque l’aiguille se fut fixée.

— Feu à bâbord, cria le matelot envoyé en vigie.

— Le reconnais-tu?

— Il paraît et disparaît; c’est celui d’Uloa.

— Bien, garçon; tu peux descendre. Vous n’avez pas changé la route, vous autres?

— Non, capitaine.

— Allez vous reposer, docteur, me dit Sébastian en se frottant les mains; si vous le permettez, c’est un verre de cognac que je boirai demain à votre santé., cette liqueur de votre pays me rafraîchit mieux que l’orchata.

Je me promenai un moment sur le pont, me demandant de quelle façon je m’accommoderais pour la nuit. Si le ciel eût été étoile, je me serais simplement étendu sur une balle de coton; mais la brise était fraîche, et je descendis dans la cabine. Là, enveloppé de la couverture nationale mexicaine nommée sarapé, je m’allongeai sur un fauteuil à bascule, que je plaçai dans le sens du roulis. Bercé par le mouvement, l’esprit alourdi par la tiède atmosphère qui règne toujours dans l’intérieur d’un navire, je fermai les yeux. A demi assoupi, j’écoutais les voix désespérées du vent siffler autour des cordages, les vagues bouillonnantes heurter la proue de la goélette. Elle semblait alors s’arrêter, un silence solennel s’établissait; mais bientôt l’Hirondelle reprenait son vol, et je la sentais glisser sur ces flots, dont les profondeurs devaient cacher tant de zoophytes, de mollusques et même tant d’aspergillum inédits.

Une formidable secousse me réveilla; moi et mon fauteuil, nous étions renversés. Un second choc m’expliqua mon accident, le navire talonnait sur des récifs. Au-dessus de moi, des clameurs, des pas précipités.

— Debout, debout! criai-je en m’élançant vers la cabine de doña Esteva.