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implique, comme nous l’avons remarqué plus haut, une diminution d’activité productive, s’il s’agit des libertés économiques, — une diminution de contrôle, s’il s’agit des libertés politiques. Enfin, si l’on amoindrit la liberté des uns pour agrandir celle des autres en créant des monopoles ou des privilèges, ou, ce qui revient au même, si l’on augmente les charges des uns pour alléger le fardeau des autres, on suscite des inégalités artificielles contre lesquelles les intérêts lésés finissent tôt ou tard par réagir. Malheureusement la plupart des constitutions existantes n’offrent sur ces différens points à la liberté que des garanties insuffisantes ou illusoires. En livrant sans contre-poids le gouvernement comme un monopole à une aristocratie ou à une bourgeoisie censitaire, elles ont rendu à peu près inévitable l’amoindrissement de la liberté du grand nombre au profit du petit. C’est ainsi qu’en Angleterre l’aristocratie territoriale n’avait pas manqué d’abuser de son influence pour protéger les intérêts de la propriété foncière aux dépens du reste de la nation. Cet exemple n’est pas demeuré isolé, et l’on pourrait citer bien d’autres pays où le monopole politique n’a guère été plus respectueux pour les libertés économiques et pour le principe de la répartition équitable des charges publiques. Ce monopole n’a pas été plus favorable aux libertés politiques, droit de réunion ou d’association, liberté de la tribune et de la presse. Il les a trop souvent supprimées ou limitées, et non sans raison peut-être, car elles menaçaient son existence, mais elles n’en étaient pas moins nécessaires au développement de l’activité nationale, au contrôle et à l’amélioration des services publics.

N’avons-nous pas eu raison de dire que les gouvernemens modernes ont à remplir une tâche qui dépasse singulièrement en étendue et en difficulté celle de leurs devanciers? Il y a plus. Cette tâche, compliquée et ardue, ils sont obligés de la remplir dans toutes ses parties essentielles, sous peine de mort. S’ils ne savent ni conserver la paix ni faire la guerre avec succès, ils courent le risque d’être emportés dans la catastrophe d’une invasion; s’ils ne garantissent point d’une manière assez complète et assez sûre la sécurité intérieure et les libertés nécessaires, ils sont exposés à périr misérablement dans le guet-apens d’un coup d’état ou à sombrer dans une révolution. Tel a été le sort commun des gouvernemens qui se sont succédé en France depuis la chute de l’ancien régime. Tous ont échoué dans l’accomplissement de la tâche qui s’imposait à eux, mais ces échecs successifs et les catastrophes auxquelles ils ont abouti constituent une « expérience » dont les fruits ne doivent pas être perdus. Ce n’est qu’en recherchant par où chacun de ces essais imparfaits de gouvernement a péché qu’on pourra